Lettre à Sophie Wilmès : il est temps de mettre enfin sur pied un plan ambitieux pour protéger les femmes
Madame la Première Ministre,
Lors de l’annonce des mesures de confinement mises en place pour lutter contre le COVID-19, nous nous étions adressées aux Ministres fédéraux compétents afin de les avertir du risque d’augmentation des violences intrafamiliales.
En effet, la tension liée à la situation sanitaire et aux difficultés économiques et sociales qui en découlent, ajoutée à la promiscuité soudaine des membres d’une même famille, risquait de conduire à une apparition
ou une aggravation des épisodes de violence au sein des foyers. Dès le mois de mars, cette évolution inquiétante ressortait sans équivoque des chiffres en provenance de Chine et d’Italie, qui ont précédé la Belgique dans l’instauration d’un confinement strict.
Notre pays était déjà largement touché par ce phénomène avant la crise sanitaire. La violence intrafamiliale est un phénomène répandu qui touche en très grande majorité les femmes et impacte aussi les enfants en tant que témoins ou victimes. Plus de 40.000 plaintes sont déposées chaque année en Belgique et les associations ont recensé 114 féminicides depuis 2017. Tout au long du confinement, les associations n’ont eu de cesse de relayer l’évolution inquiétante de la situation sur le terrain et d’interpeller le monde politique pour l’enjoindre à agir. Au quotidien, elles ont dû pallier les difficultés avec des moyens insuffisants.
Semaine après semaine, nous avons alerté votre Gouvernement sur la problématique des violences intrafamiliales durant le confinement. Nous avons relayé à vos ministres les difficultés du terrain et leur avons soumis des pistes d’action : possibilité de joindre les lignes d’urgence par SMS ; de lancer l’alerte dans les pharmacies et magasins alimentaires ; reprise de contact par la police avec les victimes ayant porté plainte dans les mois précédant le confinement ; mise en oeuvre effective de l’éloignement de conjoints violents.
Plus que jamais, la Belgique avait grand besoin d’un plan spécifique de lutte contre les violences intrafamiliales. Ces questions et propositions sont pour la plupart restées lettre morte ou ont été mises en oeuvre de manière beaucoup trop tardive. Chaque semaine en commission, MM. les Ministres Geens et De Crem se sont contentés d’expliquer que de leur point de vue, le fonctionnement habituel de la justice et de la police était suffisant pour répondre à l’urgence de la situation.
Durant ces derniers mois, vous avez agi en véritable leader, à la tête d’un gouvernement qui a montré sa capacité à prendre les mesures sanitaires qui s’imposaient pour protéger la population contre la propagation du COVID-19. Force est de constater qu’il n’en a pas été de même en ce qui concerne la lutte contre les violences intrafamiliales.Après trois mois de confinement, le bilan est amer. Il n’y a pas eu de plan d’ensemble et pas d’intention des cabinets ministériels fédéraux concernés d’endosser un leadership interfédéral sur la question alors que le niveau fédéral détient des leviers d’action capitaux. Ainsi, alors que nous suggérions à M. le Ministre De Crem, arguments à l’appui, de donner instruction aux commissariats de rappeler systématiquement les victimes et auteurs dans tous les dossiers de violences
intrafamiliales enregistrés dans les trois mois précédant le confinement, celui-ci a décliné, considérant dans un premier temps qu’une telle prise de contact n’était pas nécessaire.
M. le Ministre De Crem s’est finalement ravisé, et a accepté de mettre cette mesure en place… au mois de juin, soit trois mois après le début du confinement, au moment où l’augmentation des violences prédite par les spécialistes s’était déjà traduite dans les faits, notamment par une augmentation des appels aux services d’urgence et des interventions policières pour violences intrafamiliales.
La conférence interministérielle droits de femmes, qui a notamment porté sur les violences faites aux femmes, suscite beaucoup d’espoir. Pour qu’elle aboutisse à des résultats concrets, un véritable leadership
du fédéral sur cette matière sera toutefois nécessaire. Au niveau fédéral, c’est finalement le Parlement qui s’est saisi de la question en adoptant deux résolutions visant à lutter contre ces violences. C’est un véritable mandat que vous avez reçu. Nous espérons vivement que vous et votre Gouvernement allez vous en emparer.
Madame la Première Ministre,
La prochaine conférence interministérielle des droits des femmes a lieu ce vendredi 26 juin. À nouveau, notre pays a besoin de vous. Êtes-vous prête à endosser un leadership sur cette question, afin qu’un véritable plan interfédéral de lutte contre les violences faites aux femmes assorti de moyens conséquents soit adopté et puisse être mis en oeuvre rapidement et se poursuive au delà de cette crise?
La crise a mis une nouvelle fois en lumière un problème que vivent quotidiennement de nombreuses femmes et enfants, accompagné·e·s par un tissu associatif dynamique. Nous souhaitons que cette question soit désormais considérée à la hauteur de son importance et que des décisions ambitieuses soient au rendez-vous. Si des mesures auraient été nécessaires dès le début du confinement, de nombreuses actions
restent nécessaires durant le déconfinement et au-delà .
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette question, nous vous prions de recevoir, Madame
la Première Ministre, l’expression de nos sentiments respectueux.
Sarah Schlitz et Jessika Soors, députées fédérales Ecolo-Groen
Nous demandons un plan interfédéral de lutte contre les violences faites aux femmes intégrant les mesures
suivantes :
Police
– Que l’ensemble des commissariats reprenne contact avec les victimes ayant porté plainte trois mois
avant le confinement ainsi qu’avec les auteurs et que cette pratique perdure dans le temps;
– Que les statistiques relatives aux violences intrafamiliales tenues par la police rendent visibles le
genre et l’âge de la victime et de l’auteur ;
– Favoriser la coopération entre acteurs (différents services de la police, ministère public, secteurs
psycho-social et médical, …) afin que la marche à suivre soit claire pour la victime ;
– Rendre obligatoires les formations policières de base sur l’accueil des victimes de violences
intrafamiliales;
– Créer dans des zones de police des projets pilotes visant à créer des équipes spécialisées en matière de
violences intrafamiliales qui seraient appelées en priorité pour offrir une prise en charge spécialisée
et optimale des victimes venant déposer plainte;
– de généraliser les collaborations entre les commissariats de police et les associations de prise en
charge des victimes de violences intrafamiliales.
Justice
– Émettre une directive de politique criminelle à l’attention des procureurs généraux établissant que
le suivi des plaintes pour violence fait partie des priorités et restreindre les classements sans suite ;
– Rendre applicable la circulaire révisée 2012/18 relative à l’interdiction temporaire de résidence afin
de rendre cette procédure plus aisée et son usage plus fréquent. L’éloignement de l’auteur de
violences du domicile familial doit être considéré comme une priorité.
– Garantir le respect de l’interdiction temporaire de résidence en adoptant d’urgence la nouvelle COL
commune (en cours de finalisation d’après la réponse qui nous a été transmise en mars).
Formation
– Rendre obligatoire un cursus pédagogique sur les violences intrafamiliales et de genre pour tous les
membres du personnels de justice et de police.
Dispositifs de recueil des appels à l’aide
– Mettre à disposition des lignes d’assistance téléphonique 24h/24h (en coopération avec les
communautés) ;
– Intégrer un mode de communication par SMS pour les lignes d’écoute ;
– Avancer vers une intégration des différentes lignes d’assistance téléphonique afin d’éviter la
prolifération de lignes et la confusion ;
– Sensibiliser les opérateurs télécoms à la nécessité de supprimer toute trace d’appels des services
d’écoute des victimes sur les factures téléphoniques ;
– Multiplier les points de contact permettant aux victimes de dénoncer les violences dont elles sont
victimes;
– Désigner les pharmacies comme points de contact où il sera possible d’appeler à l’aide en cas de
violence intrafamiliale, en étroite concertation avec les représentants des pharmaciens, des services
de police et des services d’aide spécialisés ;Hébergements d’urgence
– Garantir que des places restent disponibles pour les personnes qui en ont encore besoin pendant le
déconfinement alors que les lieux d’accueil temporaires, comme les hôtels, ferment;
– Sensibiliser les services de police et les parquets aux solutions d’hébergement mises en places par les
différents niveaux de pouvoirs pour les victimes ainsi que pour les auteurs;
– Contribuer à l’augmentation du nombre de places dans les hébergements d’urgence via la mise Ã
disposition des bâtiments de la régie fédérale.
Sensibilisation et prévention
– Sensibiliser, en collaboration avec les entités fédérées, le grand public concernant les dispositifs Ã
disposition des victimes de violences ;
– Mettre en place un large plan de prévention au niveau national, et relayé par les entitées fédérées,
sur la question des violences intrafamiliales, afin de briser les tabous.
Femmes sans-papiers
– Prendre en compte la situation particulière des femmes sans-papiers dans toutes les mesures mises
en place. Ces femmes sont particulièrement vulnérables et ont très difficilement accès à la
protection de la police et de la justice ;
– Permettre aux femmes sans-papiers victimes de violences conjugales d’avoir accès à la police et à la
justice sans risquer d’être expulsées.
Evaluation
– Mettre en place un observatoire des violences conjugales qui puisse établir une évaluation de
l’évolution de ces violences, notamment pendant le confinement ;
– Réaliser une évaluation de l’outil d’évaluation de risque de violence intrafamiliale. Si les résultats
sont probants, mettre en place la généralisation de son utilisation sur l’ensemble des zones de police.
Financement
– Débloquer, pour les mesures qui le nécessitent, un fonds fédéral d’urgence dont le montant sera
déterminé en concertation avec les acteurs de terrain.
Concertation
– Que les associations spécialisées et acteurs de terrain concernés soient associés aux prises de
décisions et aux évaluations.