10. Transition juste : la justice sociale au cœur des défis écologiques

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10.1. Ancrer l’ensemble de nos politiques sur un socle social solide et dans le respect des limites planétaires.

Les limites planétaires sont les seuils que l’humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et pour pouvoir vivre durablement dans un écosystème sûr, c’est-à-dire en évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de la biosphère.

Ces limites planétaires sont au nombre de neuf, dont huit sont chiffrées par les chercheurs et chercheuses, et dont au moins six sont déjà franchies.

Le respect de ces limites est un des objectifs de base de notre action politique afin de garantir une planète habitable pour tou·tes les enfants du monde. Un autre objectif fondamental, et indissociable, est d’offrir à chacune et chacun un socle social large et solide pour permettre de mener une vie digne et épanouissante.

Cela passe par des objectifs environnementaux ambitieux, contraignants et progressifs qui s’articulent de manière structurelle avec des objectifs de justice sociale. La justice sociale est la première balise de notre action, c’est-à-dire qu’il faut s’assurer que ce qui se dégage des mesures prises dans le cadre de la transition bénéficie aux plus précaires et permette de réduire les inégalités.

10.2. Élaborer un nouveau pacte social-écologique, fruit d’un large débat démocratique, qui intégrera les nouveaux risques sociaux et les besoins fondamentaux à couvrir.

Nous voulons transformer l’État social en État social-écologique pour adopter une vision intégrée des inégalités sociales et environnementales. Il s’agit donc de refonder le système de sécurité sociale pour qu’il puisse accompagner la transition. Nous voulons un renforcement et un élargissement du système de protection sociale afin d’articuler les enjeux sociaux et les défis environnementaux.

Face à l’injustice sociale existante, des réformes visant les questions de couverture des prestations sociales, de services publics universels, de politiques d’emploi sont nécessaires.

Les problèmes environnementaux renforcent encore les inégalités. Les populations ne sont en effet pas égales face aux risques environnementaux : exposition plus forte aux risques environnementaux (pollution, inondations…) et accès moindre aux ressources (eau, énergie, espaces verts) sont souvent le lot des plus précaires. Il faut également relever l’inégalité dans la participation aux politiques publiques, à savoir l’accès a priori inégal à la définition des politiques environnementales.

Il est indispensable d’inscrire l’impératif de justice sociale au cœur des enjeux environnementaux.

Concrètement, il importe de mener une réflexion à deux niveaux :

  • Le financement de la sécurité sociale doit être repensé à la lumière des risques à couvrir, notamment les risques environnementaux et climatiques (inondations, sécheresse, nouvelles maladies,…), des besoins fondamentaux des citoyen·nes et des instruments à développer pour les rencontrer ;
  • L’élargissement de services publics universels qu’il s’agisse d’en renforcer l’accessibilité (la santé ou l’éducation par exemple) ou de les étendre à d’autres services tels que l’alimentation, l’eau, l’énergie, le logement, la justice, l’information et les télécommunications, ainsi que la culture ;
  • Le renforcement et l’élargissement des services publics existants et le développement de nouveaux services publics en s’appuyant sur la conception dite de « services publics universels » visant à garantir la sécurité matérielle (alimentation, énergie, eau, logement, santé, justice), à soutenir le développement de compétences (éducation, transport, technologies de l’information et de la communication, justice) et la participation sociale (éducation, transport, technologies de l’information et de la communication, justice).

Cette refondation du contrat social en un nouveau pacte social-écologique demande un large débat démocratique, qu’Ecolo souhaite avoir en lien étroit avec les corps intermédiaires, de nos quartiers à l’Europe.

Ce débat doit donc également avoir lieu au niveau européen afin de transformer le pacte vert pour l’Europe (« Green Deal ») en un pacte vert et social européen, soit une nouvelle stratégie globale pour l’Union européenne basée sur les principes de soutenabilité écologique, de justice sociale et de bien-être.

10.3. Définir et utiliser des indicateurs alternatifs au PIB comme « boussole » de la transition écologique et solidaire.

Nous voulons définir et utiliser les indicateurs alternatifs au PIB pour la mise en place et l’évaluation des politiques publiques,  et faire de ces indicateurs alternatifs une « boussole » de la transition juste.

Cela passe par l’institutionnalisation d’indicateurs alternatifs au PIB et par la généralisation d’analyses d’impact selon ces indicateurs pour toute législation ou réglementation. Ces analyses d’impact s’appliqueront à toutes les phases du  « cycle politique » (préparation, décision, mise en œuvre, évaluation).

De manière similaire, nous proposons de développer des budgets verts et de budgets sensibles au genre aux différents niveaux de pouvoir. Nous voulons également un débat public sur le type de modèles macroéconomiques utilisés dans le cadre de la fabrication des politiques publiques en Belgique et au niveau européen. Nous proposons de développer des modèles macroéconomiques intégrant les paramètres économiques, sociaux et environnementaux, visant ainsi le respect des limites planétaires et l’amélioration du bien-être social.

10.4. Mettre en œuvre un plan d’investissement interfédéral de 15 milliards d’euros pour la transition écologique, complété par les moyens des fonds de transition et de reconversion et les moyens européens (Fonds de Transition Juste, Fonds social climat, etc.).

Nous devons investir massivement pour réaliser de manière juste les objectifs climatiques et environnementaux de la transition écologique. Personne ne doit être laissé sur le bord du chemin.

Par conséquent, il est nécessaire de déployer d’ici 2030 un plan national de 15 milliards d’euros d’investissements publics et renforcer les fonds de transition et de reconversion européens.

Il s’agira notamment de financer le développement de filières industrielles d’avenir dans les régions les plus touchées par le chômage et en difficulté du point de vue de la transition et d’investir dans les secteurs à faible émission : rénovation énergétique, services collectifs, « care », mobilité active, agriculture raisonnée et biologique, alimentation en circuit-court,…

Il est également nécessaire de prévoir dans ce plan d’investissement les moyens nécessaires aux mesures d’adaptation au dérèglement climatique.

Pour financer ce plan, il s’agira notamment d’utiliser les revenus ETS (« Emissions Trading Systems »), les moyens du Fonds social climat et de renforcer le Fonds de Transition Juste, ayant pour objectif de soutenir les territoires les plus touchés par la transition vers la neutralité climatique et d’éviter l’aggravation des inégalités régionales.

10.5. Charger les interlocutrices et interlocuteurs sociaux d’établir un diagnostic et une feuille de route au sein de chaque secteur afin qu’elles et ils réalisent dans les temps leurs objectifs de décarbonation.

Nous devons collectivement fixer des objectifs environnementaux et sociaux, basés sur un calendrier de moyen et long terme et des modalités qui se déclinent en fonction des capacités et de la taille de chaque entreprise. Ces modalités seront définies en concertation avec les acteurs et actrices économiques, les travailleurs et travailleuses, et leurs représentant·es dans des feuilles de route sectorielles selon une stratégie de développement territorial de long terme.

Les pouvoirs publics et l’organe interfédéral de la transition juste doivent venir en support des secteurs pour établir ce diagnostic. Il faut pouvoir évaluer les évolutions des secteurs en termes d’activité, de transformations de l’emploi et de compétences attendues.

Il s’agit en autres de cartographier les emplois en lien avec leur impact environnemental :

  • Chiffrer et cartographier de manière précise et uniformisée les impacts de la transition écologique en termes de création et de disparition d’emplois (directs, indirects et induits) ;
  • Mener une analyse sectorielle des compétences nécessaires à la transition écologique. Tous les secteurs sont concernés ;
  • Concernant les emplois verdissants, notamment dans la santé, la culture et l’administration, il s’agit d’encourager chaque organisation à calculer son bilan environnemental et d’identifier les besoins, notamment en termes de main d’œuvre, pour l’améliorer.

Il faut en outre :

  • Évaluer l’évolution de la demande de matériaux;
  • Préciser les différents leviers de décarbonation et de réduction des consommations d’énergie ;
  • Identifier les besoins prioritaires pour y parvenir.

Concrètement, ces feuilles de route s’inscriront dans les accords de branche, en y ajoutant davantage de concertation (inclusion des travailleuses et travailleurs dans les comités directeurs).

10.6. Sécuriser les parcours professionnels grâce à un statut de « travailleur ou travailleuse en transition » donnant accès à un congé de mobilité permettant de se former en vue de se reconvertir et à une garantie d’emploi permettant d’accéder à un nouvel emploi lorsque l’emploi actuel est fragilisé par la feuille de route sectorielle.

Certains métiers et secteurs seront fortement impactés par la transition écologique. Il est fondamental de leur permettre de s’appuyer sur des aides à la reconversion, l’établissement de plans de carrière et la mise en place de systèmes de protection sociale adéquats.

Les travailleuses et travailleurs qui perdent leur emploi ou dont les emplois sont fragilisés doivent être accompagné·es par des programmes de reconversion professionnelle.

Nous voulons créer en ce sens un statut de « travailleuse ou travailleur en transition » donnant accès à un congé élargi pour formation, en vue de se reconvertir.

Nous voulons développer un fonds intersectoriel de formation pour soutenir les entreprises (avec une intervention plus importante pour les PME), et créer un statut « d’entreprises en reconversion » dans des secteurs d’activité identifiés comme pouvant être touchés par des transformations profondes de leur core business (fabrication de plastique, production d’hydrocarbures, etc.). Ce statut permet aux entreprises d’être accompagnées dans leur reconversion, mais aussi de protéger les travailleurs et travailleuses.

De plus, des mesures de protection sociale doivent être adoptées spécifiquement dans les régions particulièrement touchées. Nous voulons créer une garantie d’emploi vert, inspiré du modèle de garantie d’emploi proposé par Pavlina Tcherneva. Dans celui-ci, l’État serait tenu de proposer aux travailleurs et travailleuses impacté·es par les pertes d’emplois dues à la transition une reconversion dans un secteur « vert » ou socialement positif porteur d’emplois.

10.7. Garantir le principe universel de réciprocité et celui de solidarité avec les pays à bas revenus, en leur faisant bénéficier d’une partie des fonds levés par le mécanisme d’ajustement aux frontières.

La transition juste doit être pensée dans une perspective de réciprocité et de solidarité internationale.

C’est principalement le mécanisme d’ajustement aux frontières qui matérialisera la nécessaire réciprocité. Une partie des sommes prélevées dans ce cadre sera affectée aux fonds de transition et de reconversion ; une autre partie ira vers le financement international pour le climat à l’intention des pays à bas revenus. Il est en effet fondamental de contribuer de manière juste au financement international pour le climat, l’adaptation et la transition juste dans ces pays.

Complémentairement, nous défendrons des accords politiques entre les différentes entités compétentes afin d’adopter de nouvelles contributions ambitieuses au financement climatique. La contribution belge doit être rehaussée pour que notre pays contribue équitablement et de manière croissante, conformément aux accords internationaux.

Nous voulons orienter ces financements tant vers l’atténuation du dérèglement climatique, que vers l’adaptation et la couverture des pertes et préjudices.

Par ailleurs, il est essentiel de respecter les engagements concernant les sommes allouées à l’Aide Publique au Développement (0,7% du Revenu National Brut) et de plaider au niveau international pour rehausser les ambitions en termes de solidarité financière aux pays du Sud.

Enfin, nous défendrons un partage juste des ressources au niveau mondial, ressources financières mais aussi en termes de matières premières et de technologies. C’est aussi cela la réciprocité et la solidarité.

10.8. Mettre en œuvre une méthode de planification de la transition qui repose sur une concertation sociale et sociétale permanente.

La transition juste doit s’articuler à la concertation entre les interlocutrices et interlocuteurs sociaux (syndicats, employeurs et employeuses), les autorités régionales et locales et les associations de la société civile organisée, notamment les associations environnementalistes. Il s’agit de s’appuyer tant sur l’expertise de terrain que sur celle des corps intermédiaires et d’organiser enfin un vrai débat autour de la démocratie économique.

Il faut également pouvoir concerter et impliquer les personnes les plus précaires à la prise de décision, notamment via le Service interfédéral de Lutte contre la Pauvreté et les associations de la société civile qui agissent avec ce public.

10.9. Créer un organe interfédéral de pilotage de la transition juste pour pérenniser la concertation avec la société civile et les citoyen·nes.

Cet organe interfédéral permettrait d’articuler la gouvernance transversale, quel que soit le niveau de pouvoir, et d’avoir un cadre pour la concertation avec les académiques, les acteurs et actrices de la société civile.

Cette institution accueillerait un comité permanent de la transition juste, une cellule de concertation sociale permanente et un conseil citoyen permanent.

Elle aurait pour tâche de piloter et d’évaluer les plans nationaux et les politiques publiques en lien avec la transition juste.

10.10. Inscrire l’enjeu de la transition écologique et solidaire dans tous les programmes d’éducation et de formation professionnelle.

La transition écologique doit s’inscrire au cœur des programmes d’éducation et de formation professionnelle.

Il est indispensable de sensibiliser dès l’école primaire aux enjeux écologiques. Tous les programmes éducatifs et de formation devront comprendre un module de base « climat-transition » adapté au public cible.

Nous voulons garantir l’effectivité du droit à la formation continue tout au long de la vie active au bénéfice des travailleurs et travailleuses. Nous voulons orienter plus fondamentalement l’offre de formation professionnelle vers l’acquisition de compétences nécessaires à la transition écologique, en tenant compte et anticipant au mieux les dynamiques de création et de destruction d’emplois.

Pour ce faire, nous voulons mettre en œuvre :

  • Un fonds intersectoriel de formation ;
  • Un renforcement des dispositifs de soutien à la formation (tel que le congé-éducation payé (CEP)) et aux possibilités d’interruption de carrière pour raison de formation ;
  • Une centralisation des informations (filières et dispositifs de soutien) et la possibilité de s’adresser à un guichet unique par région pour les demandeuses et demandeurs d’emploi et les travailleurs et travailleuses qui pourraient également y réaliser un bilan de compétences ;
  • Un guichet-service aux entreprises pour les accompagner dans les nécessaires transformations des compétences de leurs salarié·es ;
  • Le développement de la validation des compétences acquises en dehors du système d’éducation traditionnel en dotant chaque travailleur et travailleuse d’un « passeport-formation » où sont consignées les compétences acquises.