31. Une justice accessible et efficace, dans un État de droit

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Lenteurs excessives, manque d’écoute des victimes, conditions de détention inhumaines, ou encore hausse de la criminalité financière, la justice connaît aujourd’hui de nombreux dysfonctionnements, auxquels il est urgent de remédier.

Pour les écologistes, il est nécessaire de réinvestir dans la justice et  de supprimer les obstacles qui entravent l’accès à la justice en simplifiant les procédures, en renforçant l’aide juridique et en renforçant la justice de proximité. Tout le monde doit pouvoir faire valoir ses droits.

Le système judiciaire doit par ailleurs permettre de lutter efficacement contre les discriminations, de protéger les victimes et de réhabiliter les détenus. Dans cette perspective, Ecolo propose également une approche alternative à l’incarcération, favorisant des mesures de réinsertion sociale et de réhabilitation des délinquants.
Cette approche vise à réduire la récidive et à promouvoir une justice plus humaine et efficace, tout en assurant la protection de la société.

31.1. Garantir l’accès à la justice pour toutes et tous en levant les obstacles financiers, procéduraux et géographiques, via notamment un renforcement de l’aide juridique et le maintien d’une justice de proximité.

Une justice accessible à toutes et tous, droit fondamental dans une démocratie, implique la levée des obstacles procéduraux, géographiques et financiers et passe notamment par les objectifs suivants :

  • Renforcer le droit à l’aide juridique, en poursuivant le relèvement des seuils d’accès ;
  • Garantir la juste rémunération des avocat·es de l’aide juridique ;
  • Travailler à la réduction des frais de procédure et simplifier les procédures ;
  • Maintenir une justice de proximité, en mettant fin à la suppression des lieux d’audience ;
  • Développer l’aide juridique de première ligne ;
  • Garantir le droit à une aide juridique gratuite et de qualité pour les enfants.

Dans une société où le tissu législatif s’est considérablement compliqué, il convient de miser sur une information accessible aux citoyen·nes et d’assurer un accès aisé, gratuit et modernisé du public à la législation et à la jurisprudence, démocratiquement indispensable.

31.2. Assurer l’égalité de toutes et tous devant la justice en luttant contre toute discrimination liée aux revenus, à l’origine ou au genre.

L’idée d’une justice de classes est absolument incompatible avec l’idée même de justice. C’est pourquoi nous voulons pouvoir déterminer si le système pénal belge contient des facteurs et mécanismes de nature à permettre des inégalités devant la justice et conduire les juges à adopter des comportements plus cléments envers certaines personnes, en fonction de leur catégorie socio-professionnelle, de leur origine ethnique ou de leur genre.

Sous la coordination de l’Institut Fédéral des Droits Humains, une large étude multi-disciplinaire, associant les expertises de juristes, de criminologues, de sociologues et d’associations de terrain, doit être initiée dans le but d’objectiver la situation, accroître la transparence et identifier les améliorations nécessaires.

Il convient en parallèle d’étudier les possibilités d’étendre le principe de modulation des amendes en fonction des revenus. Les plus favorisé·es demeurent aujourd’hui proportionnellement moins pénalisé·es pour la même infraction.

31.3. Repenser le financement de la justice pour permettre de nouveaux investissements en infrastructures et en personnel.

La justice manque structurellement de moyens matériels et humains, ce qui l’empêche de réaliser l’ensemble de ses missions. Nous voulons refinancer ce service public essentiel, en se gardant d’appliquer une vision néo-libérale à la gestion de son fonctionnement.

Les cadres légaux doivent être intégralement remplis en ce qui concerne les magistrat·es, greffiers, greffières, personnel administratif, etc. Des efforts importants sont à fournir en termes de recrutement de magistrat·es, de rénovation du bâti et de modernisation des infrastructures numériques.

L’indépendance de chaque juge et magistrat·e doit être garantie, y compris par rapport au pouvoir exécutif, en leur accordant davantage d’autonomie dans la gestion de leurs budgets de fonctionnement. L’allocation des budgets doit être décidée dans le cadre de négociations entre le parlement et le pouvoir judiciaire, représenté par une institution démocratiquement élue. La Cour des comptes sera chargée de contrôler la bonne exécution de ce processus, sans intervention de la ou du Ministre.

31.4. Augmenter les moyens de lutte contre la délinquance financière et fiscale.

L’impunité fiscale doit être combattue en dégageant les moyens nécessaires pour que l’ensemble de la population et des entreprises soient traitées de manière égale face à l’impôt et que la loi soit appliquée. Concrètement, il s’agit de :

  • Créer un Parquet financier dédié à la lutte contre la criminalité en col blanc, avec des magistrat·es spécialisé·es ;
  • Renforcer les moyens de l’administration fiscale ;
  • Renforcer l’OCDEFO (Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière organisée), en étroite collaboration avec les services de renseignement qui ont un rôle important en la matière.

Des budgets doivent être libérés pour ces différentes mesures, qui rapportent plus qu’elles ne coûtent.

L’effectivité de la justice fiscale et la fin de l’impunité fiscale sont des recommandations portées par de nombreuses organisations de la société civile.

31.5. Améliorer la prise en charge des victimes et la réparation des dommages subis par celles-ci.

Nous voulons améliorer la prise en charges des victimes et garantir la réparation des dommages subis par celles, notamment à travers les mesures suivants :

  • Accorder une attention particulière à la prise en charge des victimes dans la formation de la police et de magistrature ;
  • Assurer une prise en charge transversale des victimes de certains types de violence (sur le modèle des CPVS pour les violences sexuelles, par exemple) ;
  • Renforcer les services d’aide aux victimes afin qu’une personne formée à cet effet puisse toujours prendre en charge les victimes ;
  • Assurer un suivi dans les semaines voire les mois suivant les difficultés auxquelles elles ont été confrontées. En cas de violences intra-familiales, par exemple, des revisites doivent être prévues régulièrement ;
  • Faire toujours primer le statut de victime en cas de plainte. Pour les personnes en situation de séjour illégal par exemple, l’obligation de prévenir l’Office des Étrangers doit être supprimée car elle dissuade ces personnes de porter plainte ;
  • Prévoir les aménagements nécessaires pour éviter les violences institutionnelles dans le cadre des procédures judiciaires ;
  • Assurer une juste réparation des dommages subis par les victimes. La justice restauratrice est l’une des pistes pour y arriver, il s’agit de favoriser son développement ;
  • Assurer la continuité des droits à la protection, reconnaissance et indemnisation des victimes non-belges en application du droit européen et adopter une approche ambitieuse et progressiste en vue de la révision de la directive européenne sur les droits des victimes.

31.6. Renforcer la prise en compte des enjeux liés au genre dans les procédures judiciaires, en les intégrant à la formation des professionnel·les de la justice et en créant des tribunaux spécialisés dans les violences intrafamiliales.

Renforcer la formation initiale et continue des professionnel·les de la justice sur les questions de genre, en y incluant la sensibilisation à l’emprise psychologique, aux stéréotypes de genre, aux violences intra-familiales, au harcèlement sexuel et aux autres formes de violence fondée sur le genre. Poursuivre les efforts entrepris en ce sens dans le cadre du plan d’action national.

Nous voulons créer des tribunaux et parquets spécialisés dans les violences intrafamiliales. Leur spécialisation permettra de détecter les processus de domination et de violence (emprise, contrôle de coercition…), et d’écarter le recours à des concepts non fondés scientifiquement (tel que le syndrome d’aliénation parentale).

31.7. Développer de véritables peines alternatives à la prison, appelées à venir remplacer le recours à la prison et non s’y superposer.

Le taux d’incarcération demeure élevé en Belgique. Il entraîne une surpopulation carcérale parmi les plus importantes d’Europe. Pourtant, la prison est le type de peine le plus cher et le moins efficace en termes de réinsertion, avec des taux élevés de récidive.

Nous voulons privilégier une approche préventive à l’approche répressive, mais aussi de mettre un arrêt à l’inflation pénale et à l’extension du filet pénal :

  • Identifier les comportements à décriminaliser comme l’usage de drogues sans délit associé, 51 %des personnes incarcérées en Belgique l’étant pour des faits liés à la drogue ;
  • Limiter les détentions préventives à des circonstances exceptionnelles et privilégier les alternatives ;
  • Promouvoir activement les alternatives à une procédure judiciaire lorsque cela s’y prête ;
  • Privilégier les peines de travail ;
  • Recourir davantage dans le cadre des peines aux dispositifs de formation et sensibilisation, sur le modèle des formations PRAXIS pour violences conjugales intrafamiliales ;
  • Évaluer l’adéquation du recours massif et non-individualisé aux bracelets électroniques et assurer un véritable suivi des personnes sous bracelet ;
  • Renforcer les moyens humains affectés au suivi de la réinsertion des détenu·es. Il s’agit d’établir un dossier pluridisciplinaire (formation, logement, famille, aide psychologique) pour les personnes qui sortent d’une institution (prison, institution publique de protection de le jeunesse, etc.) en vue d’assurer leur réintégration sociale.

En parallèle, il convient d’étendre le droit à l’intégration sociale aux personnes qui purgent leur peine de prison extra muros sous bracelet électronique.

31.8. Assurer le respect des droits fondamentaux des personnes détenues et améliorer leurs conditions de détention et de santé mentale.

Depuis des décennies, la surpopulation carcérale entraîne des conditions de vie et de travail inhumaines pour les détenu·es et les agent·es pénitentiaires, une situation qui aboutit régulièrement à des condamnations européennes. En plus de lutter contre cette surpopulation, il s’agit de veiller à l’amélioration des conditions de détention et de santé mentale des détenu·es, afin notamment de mettre la situation en conformité avec les exigences de la Charte européenne des droits sociaux :

  • Respecter le droit à la santé des détenu·es en renforçant le suivi médical, social et psychologique et en assurant la continuité et l’équivalence des soins ;
  • Assurer le respect du droit à la sécurité sociale des détenu·es ;
  • Améliorer l’organisation des moments et espaces de rencontre avec les familles des détenu·es ;
  • Assurer l’accès aux lieux de privation de liberté pour les chercheurs et chercheuses et réaliser des études pour objectiver la situation des détenu·es, en particulier des femmes dont on sait que la prise en charge est problématique ;
  • Prendre davantage en compte la situation spécifique des femmes détenues ;
  • S’assurer de la salubrité des prisons et privilégier des lieux de privation de liberté de petite taille, dont l’objectif principal est la réinsertion des détenu·es.

Il est par ailleurs essentiel que la Belgique ratifie l’OPCAT. Ce Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants exige notamment la création d’un organisme chargé de contrôler les lieux de privation de liberté.

Afin d’assurer une application harmonisée et digne des conditions de détention dans l’Union européenne et de faciliter la coopération judiciaire européenne, l’UE doit se doter d’une directive englobant les recommandations des organismes internationaux en matière de détention afin de créer des standards applicables de manière contraignante dans tous les États-membres.

31.9. En matière de consommation de drogues et d’assuétude, passer d’une politique centrée sur la répression à une prise en charge de ces enjeux prioritairement par la santé publique.

Nous voulons créer une commission locale « drogues et addictions » dans chaque arrondissement judiciaire, chargée de prendre en charge les personnes interpellées par la police pour usage de drogue. La commission, composée de travailleuses et travailleurs spécialisés, d’assistantes sociales et assistants sociaux et de psychologues, évaluera le nécessité de dispenser des conseils de prévention et de réduction des risques ou d’orienter la personne vers un parcours de soin et/ou d’insertion sociale adapté à ses besoins.

La filière judiciaire n’intervient que dans les cas particuliers où la consommation est un facteur déterminant pour un autre délit ou si elle a mené à ce délit (tel que le trafic), via le parcours correctionnel classique.

Afin de sortir d’une approche répressive qui montre toutes ses limites, il convient également de réglementer le marché du cannabis pour mieux contrôler sa production et sa distribution. Le caractère commercial de ce marché sera fortement limité (interdiction de la publicité, favorisation d’une offre non marchande, contrôle des taux de THC, etc.) et des conditions strictes de production et de distribution doivent être fixées.

31.10. Création d’un fonds « anti-drogues », financé par l’argent confisqué aux cartels de la drogue et destiné à soutenir les 4 piliers des politiques drogues (prévention, réduction des risques, soins, action judiciaire)

Face à l’évolution du marché des drogues illégales, à la professionnalisation des narcotrafiquant·es, dont un recours accru à la violence, au darknet et aux cryptomonnaies, ainsi qu’au développement de la consommation du crack, la politique drogues a besoin de moyens renforcés pour s’adapter et agir. Ecolo propose de créer un fonds destiné à cet objectif. Il s’alimentera par la confiscation des avoirs du narcotrafic. 60 %seront affectés à la prévention et aux politiques de santé mentale, aux politiques de santé publique et mentale, indispensables pour accompagner les personnes en addiction, notamment les usagers et usagères de drogues en rue. 40 %seront consacrés à l’innovation de l’action judiciaire contre la criminalité organisée, en particulier le narcotrafic.

31.11. Poursuivre plus efficacement le blanchiment d’argent.

La criminalité financière et le blanchiment d’argent, notamment lié au trafic de drogues, sont des phénomènes grandissants. Face à ceux-ci et à l’ingéniosité de leurs auteurs ou autrices pour cacher l’origine illicite de leurs avoirs, l’appareil judiciaire manque parfois de moyens pour les poursuivre efficacement. Les montages financiers sont compliqués, opaques. Ecolo propose ainsi un système de renversement de la preuve lorsque des personnes sont suspectées de blanchiment d’argent. Si ces personnes obtiennent plusieurs centaines de milliers d’euros sous forme d’argent ou de biens, elles devront être en mesure de justifier l’origine licite de celles-ci. Dans le cas contraire, la ou le juge pourra légitimement et sur la base des faisceaux d’indices dont il dispose, fonder l’infraction de blanchiment d’argent et saisir les sommes et biens concernés, en Belgique ou à l’étranger.

31.12. Garantir une justice adaptée aux enfants et acter le droit des enfants à une éducation non-violente en interdisant expressément dans la loi les châtiments corporels.

Les violences éducatives ordinaires demeurent partie intégrante d’habitudes d’éducation d’encore trop de parents. Elles sont pourtant à l’origine d’importants dommages physiques et moraux chez les enfants. Face à ce constat, il convient d’acter le droit des enfants à une éducation non-violente et de lancer un plan inter-fédéral de prévention et de lutte contre les violences faites aux enfants y compris en milieu intrafamilial, avec une attention particulière accordée à l’inceste.

En application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), ce plan doit poursuivre des objectifs tels que la collecte de données pour l’objectivation de la situation, une harmonisation des législations des différentes entités du pays sur le sujet et avancer vers l’interdiction de toute forme de punitions physiques dégradante ainsi que des campagnes de prévention et d’information (en matière de conséquences pour l’enfant et de législation existante) des enfants et des parents.

En parallèle, il importe de garantir le droit à un·e mineur·e responsable d’une infraction d’être jugé·e par une juridiction spécialisée, et de privilégier des mesures avant tout éducatives.

31.13. Préserver le droit de manifester, le droit de grève et le droit à l’activisme non violent.

Une tendance à la criminalisation et à la délégitimation de certains modes d’actions revendicatifs existe en Belgique et dans d’autres pays européens. En tant qu’écologistes, nous souhaitons préserver et renforcer le droit pour chacun et chacune de défendre ses convictions en manifestant, en faisait grève ou pratiquant d’autres formes d’activisme non violent. Il s’agit notamment de s’assurer d’un recours justifié et proportionné aux contrôles identitaires dans le cadre des mobilisations revendicatrices, pour qu’ils demeurent exceptionnels.

31.14. Élargir la portée de la définition du crime d’écocide, notamment aux matières régionales, et viser une reconnaissance de ce crime au niveau européen et international.

Nous plaidons pour une définition plus large du crime d’écocide au niveau du code pénal belge. Il s’agit de ne plus viser seulement des actes délibérés ayant mené à un dommage environnemental durable, grave et étendu, mais de viser aussi les actes :

  • Relevant d’un défaut grave de précaution dans les cas où la personne visée connaissait les conséquences de l’acte ;
  • Menant à un dommage durable et soit grave, soit étendu.

Cette définition est également celle qui doit prévaloir pour la reconnaissance du crime d’écocide au niveau régional et européen mais aussi international, par une intégration dans le Statut de Rome.

En parallèle, il s’agit d’étendre les compétences du Parquet européen à la lutte contre la criminalité environnementale.

31.15. Nommer une personne défenseuse des droits de la nature, capable d’agir, y compris en justice, face à tout préjudice écologique/environnemental.

Reconnaissant les écosystèmes comme sujets de droit, les droits de la nature permettent une préservation plus efficace de ces écosystèmes devant les tribunaux. Ecolo propose de nommer un défenseur ou une défenseuse des droits de la nature, qui serait notamment chargée de :

  • Donner des injonctions positives d’enquêtes pour les plaintes/dénonciation en matière d’environnement ;
  • Coordonner les différents services quand un préjudice écologique/environnemental important est constaté, étant donné l’importance de la préparation du dossier dans ces affaires ;
  • Coordonner la politique répressive avec les différents acteurs (police de l’environnement, zones de police, communes, police fédérale, parquets, ministres compétent·es, associations environnementales…) ;
  • Donner des avis sur l’adoption de législations ou d’arrêtés en rapport avec ses missions.

31.16. Créer des Chambres de l’environnement au sein des Cours et tribunaux.

Le droit de l’environnement est un droit très complexe, à la jonction du droit international, européen, fédéral et régional. Les avocat·es qui le pratiquent sont souvent extrêmement spécialisé·es. Il est essentiel de disposer également de juges et chambres spécialisées en la matière, afin d’assurer un traitement efficace et équitable des affaires. Sur le modèle de la Chambre de l’environnement créée en 2021 au sein de la Cour d’appel de Mons, nous proposons de créer et d’ancrer légalement des sections spécialisées en matière environnementale dans les tribunaux de première instance (par exemple, une section par province) et une chambre spécialisée dans chaque cour d’appel. Elles traiteront à la fois des aspects civils et pénaux des affaires.