Transition économique: "Si on veut aller loin, on a besoin de le faire avec les entreprises"
À Bruxelles, pour faire face aux énormes défis environnementaux et sociaux, aussi bien à l’échelle mondiale que locale, une stratégie a été mise en place pour que les entreprises participent aux changements nécessaires. Car elles jouent un rôle primordial. On parle de “shifting economy” ou transition économique (découvrir le résumé du plan d’aide shifting economy).
Celle qui porte cette stratégie est une écologiste : Barbara Trachte, secrétaire d’État bruxelloise à la Transition économique. La Schaerbeekoise de 42 ans éclaire sur le pourquoi et le comment de ce plan d’aide.
Qu’entend-on par transition économique ?
Barbara Trachte : C’est aligner les objectifs économiques des entreprises sur nos objectifs environnementaux. On va aider ces entreprises à devenir durables et responsables sur le plan social et sur le plan environnemental.
Concrètement, ça veut dire qu’on va faire en sorte que ces entreprises créent de l’emploi et de la prospérité, mais aussi que leur manière de travailler et les biens qu’elles produisent soient neutres en matière d’émission de gaz à effet de serre mais aussi bons pour la biodiversité.
Quand on parle de transition économique, on évoque souvent l’économie circulaire. Qu’est-ce que c’est exactement ?
Barbara Trachte : L’économie circulaire est une des voies de la transition économique, sans doute l’une des plus pionnières. C’est une manière de produire des biens sans aller extraire de nouvelles ressources, naturelles ou environnementales. Comment ? En utilisant les déchets comme matière première.
C’est particulièrement intéressant dans une ville comme Bruxelles où on ne dispose pas de beaucoup de matières premières (par exemple, on n’a pas d’argile ou de carrière de pierres) et d’activités productives. Par contre, comme ressources, on a des déchets et beaucoup de personnes qui sont très innovantes pour créer des nouveaux biens à partir de ces déchets.
L’économie circulaire est à la pointe de la transition économique. Mais il y a d’autres voies, comme, par exemple, l’économie de la fonctionnalité qui consiste à utiliser un bien plutôt que de le posséder. Des personnes vont partager un bien ou le proposer à la location plutôt que de garder chacune un bien qu’elles n’utiliseront peut être qu’une fois par an. Cela peut être des vêtements, des voitures, des vélos, des trottinettes, des outils, etc.
Une des priorités d’Ecolo est d’accélérer cette transition économique. Pourquoi ?
Barbara Trachte : On a des objectifs climatiques et environnementaux qui sont urgents et évidents. Tout le monde le voit : les inondations, les canicules chaque été, et cet hiver on parle beaucoup de l’absence de neige, dans les Alpes notamment. Le dérèglement climatique s’accélère, il est donc indispensable d’agir rapidement.
À l’échelle de l’histoire, l’industrie a eu un rôle important dans la destruction de notre environnement ou dans le réchauffement climatique. Et donc aujourd’hui, les entreprises doivent être des partenaires. Si on veut aller vite et si on veut aller loin, on a besoin de travailler avec les entreprises.
On est trop dépendants de biens qui sont produits à l’autre bout de la planète, souvent dans des conditions sociales qui sont inacceptables
Un autre mot qu’on entend toujours en parlant de transition économique est “local”. Pourquoi notre économie devrait-elle redevenir plus locale ?
Barbara Trachte : Le Covid, notamment, nous a démontré que notre économie était trop fragile. Aujourd’hui, globalement, on est trop dépendants de biens qui sont produits à l’autre bout de la planète, souvent dans des conditions sociales qui sont inacceptables (par exemple produits par des enfants) et qui sont acheminés d’une manière qui n’est pas responsable ou durable sur le plan environnemental. Ce sont des biens qui sont souvent des biens de première nécessité.
On a donc besoin de rapprocher les consommateurs des producteurs. Relocaliser notre économie permet non seulement de créer de l’emploi ici, mais aussi de créer des biens qui sont produits dans des conditions qui sont socialement justes et de réduire l’impact environnemental.
Quel rôle vont jouer les entreprises dans cette transition économique ?
Barbara Trachte : L’économie, c’est la liberté. Chacun a la liberté d’entreprendre et de faire en sorte que le bien qu’il produit ou qu’il propose soit disponible pour les autres. Ce n’est pas l’Etat qui décide cela, c’est la liberté. Si on veut avancer, si on veut lutter contre le dérèglement climatique, si on veut aller loin, on a besoin de le faire avec les entreprises. Ce sont des partenaires.
Et quel rôle joue le pouvoir politique par rapport à ces entreprises ?
Barbara Trachte : Basiquement, notre rôle est de faire en sorte qu’on vive mieux, ici et aujourd’hui. Pour ça, on fixe un horizon, par exemple la décarbonation pour 2050. Cet horizon, on le donne aussi aux entreprises et on veut les aider à nous permettre de l’atteindre. On va les soutenir, les encourager, les mettre en réseau, les accompagner, les financer, les accueillir sur notre territoire pour nous permettre tous ensemble d’atteindre ces objectifs environnementaux.
À Bruxelles, on va utiliser tous les instruments économiques régionaux : des instruments d’accompagnement des entreprises, des instruments de financement des entreprises ou des instruments d’hébergement des entreprises.
Dans un premier temps, on aide toutes les entreprises mais davantage celles qui sont en processus de transition économique. Et à partir de 2030, notre aide ne sera plus destinée qu’à des entreprises qui seront exemplaires sur le plan social et environnemental. Notre but est de faire en sorte que, d’ici là , toutes les entreprises soient devenues exemplaires ou en voie de transition économique.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les trois grands volets d’aide ?
Barbara Trachte : Dans l’accompagnement, on va aider celui/celle qui veut devenir entrepreneur/euse, et singulièrement les jeunes, les demandeurs d’emploi, les femmes. Mais aussi les personnes qui ont déjà aujourd’hui une entreprise et veulent se lancer dans une transition économique, par exemple en l’aidant à trouver d’autres clients. On leur donne des conseils, on prévoit des formations, on peut aussi leur indiquer ou s’installer sur le territoire.
En matière de financement, on peut aider à investir, par exemple pour économiser l’énergie. Imaginons un boulanger qui veut remplacer son four par un appareil moins énergivore. Pour des plus grosses entreprises, on peut aussi investir dans leur capital ou faire des prêts.
Enfin, il y a l’hébergement. Sur le territoire de la région, on a plusieurs lieux ou on accueille des entreprises. On essaye de faire en sorte d’accueillir des activités productives, donc des entreprises qui produisent des biens ou qui les transforment. Dans l’alimentaire, par exemple, on a beaucoup à Bruxelles de microbrasseries, on a du chocolat, on a des activités aussi de travail du bois, on a des entreprises qui créent des matériaux de construction à partir de déchets qu’on trouve sur le territoire bruxellois, je songe à des terres d’excavation par exemple.
Qu’est-ce que les entreprises pointent comme obstacles majeurs à leur participation à la transition économique ?
Barbara Trachte : À Bruxelles, ce qu’on observe le plus souvent, c’est un manque de temps ou de moyens, singulièrement dans les petites entreprises. Pour toutes celles qui travaillent déjà énormément, qui doivent en plus remplir une série de tâches administratives comme leur comptabilité, etc, trouver du temps et de l’information pour se lancer dans la transition, c’est compliqué. On essaye de rendre la transition la plus facile pour eux, d’avoir des outils qui soient les plus faciles et évidents à mettre en place, en fonction de leur réalité.
Évidemment, on répond à tous ceux qui viennent spontanément vers nous. Mais on veut vraiment pouvoir toucher tout le monde et donc les administrations bruxelloises vont aller rencontrer les gens sur le terrain. On touche aussi les associations de commerçants et les réseaux d’entreprises. On travaille en partenariat avec tous ceux qui rencontrent les entreprises de près ou de loin, avec les comptables ou les avocats par exemple.
Ce qui me touche le plus, ce sont les très petites entreprises, surtout celles tenues par des femmes
Qu’est-ce qui vous apporte le plus d’énergie et de satisfaction dans votre fonction?
Barbara Trachte : J’ai la grande chance de rendre très souvent visite à des entreprises. Ce qui est gratifiant, c’est de voir les réalisations sur le terrain et de voir la multiplication des projets de transition. Au tout début, c’était quelques initiatives par-ci par-là . Aujourd’hui, c’est vraiment très répandu et à travers une grande variété d’entreprises. Mais ce qui me touche le plus, ce sont les très petites entreprises, surtout celles tenues par des femmes qui leur permettent à la fois de s’épanouir, d’avoir des ressources, de gagner de l’argent, de l’argent par elles-mêmes et pour elles-mêmes. Et qui, en plus, la plupart du temps, sont des initiatives durables et responsables sur le plan environnemental. Pour moi, c’est le plus touchant.
Qu’est-ce qui est le plus dur ?
Barbara Trachte : La crise du Covid puis aujourd’hui la crise énergétique mettent de nombreuses entreprises dans de grosses difficultés et, au-delà , des personnes et des familles dans de grandes situations de désarroi. Donc ça, c’est évidemment le plus difficile.
Si on veut inverser la tendance actuelle, il faut travailler main dans la main avec les entreprises
Pourquoi faites-vous tout cela ?
Barbara Trachte : Je souhaite que la planète qu’on laisse à nos enfants soit au moins aussi belle que celle que nous avons reçue de nos parents. Si on veut inverser la tendance actuelle, lutter contre le dérèglement climatique et la perte de la biodiversité, il faut travailler main dans la main avec les entreprises, les aider à faire en sorte qu’on puisse bénéficier de toujours autant de bien-être et de prospérité, à créer plus d’emplois, mais en respectant les limites de la planète.