Stéphanie, cheffe d'entreprise: "Après 8 ans, je me suis dit OK, mes prototypes fonctionnent, je les lance sur le marché"
Entrepreneur·euses de la transition économique (2/7). Stéphanie Renard habite avec sa famille dans une jolie petite ruelle au coeur de Thuin dans le Hainaut. Elle nous fait monter dans son grenier. C’est là qu’elle a installé son atelier de couture où elle fabrique une partie de ses articles zéro déchet, essentiellement des culottes menstruelles, des couches lavables et des serviettes hygiéniques lavables, mais aussi d’autres produits textiles plus simples comme des lingettes ou des sacs à vrac. Vous les avez peut-être déjà vus dans magasin bio puisqu’ils sont vendus dans 250 de ces commerces en Wallonie et à Bruxelles. “Et j’ai aussi un site internet www.larenarde.be où on peut aussi aller acheter tous nos produits”, ajoute Stéphanie dont l’entreprise occupe 4 personnes. “Il y a moi qui suis à temps plein, les trois autres sont chacune à mi-temps. Il y a une commerciale, c’est elle qui est sur la route et me représente dans tous les magasins. On a une personne qui va gérer tout l’aspect administratif et communication sur les réseaux sociaux. Et puis il y en a une dernière personne qui gère tout ce qui est logistique. Donc elle prépare les colis et elle me donne un coup de main en couture quand j’ai besoin d’un coup de main”, décrit la Thudinienne qui fournit aussi de l’activité à des ateliers protégés de la région. Au milieu des tissus, aiguilles, boutons et machines à coudre, elle nous a raconté son histoire.
(Si vous préférez voir et entendre plutôt que lire, la vidéo est au bas de l’article)
Comment toute cette aventure a-t-elle débuté?
Stéphanie Renard: J’ai commencé par un graduat en informatique de gestion (rires). Donc j’ai fait un tournant à 360 degrés au niveau de ma carrière professionnelle. C’était en janvier 2018. Mais le tournant a été amorcé environ huit ans plus tôt, quand j’ai eu mon premier enfant. Je me suis rendu compte qu’on jetait énormément de choses, qu’un bébé génère énormément de déchets en terme de couches lavables, de lingettes, etc. J’ai eu l’envie de lui créer des couches lavables qui étaient adaptées à ces problèmes de peau. Mon fils avait des allergies aux produits synthétiques, donc il avait besoin de coton contre sa peau mais je n’avais pas trouvé quelque chose qui lui convenait sur le marché. Donc j’ai commencé à essayer de créer mes propres couches lavables à ce moment-là . Il a fallu attendre presque huit ans pour que je me dise “OK, maintenant je me lance comme indépendante, j’ai des prototypes qui fonctionnent, on va les vendre sur le marché.”
On a eu une progression plutôt linéaire en 2018. Et puis 2019, 2020 et 2021 ont été de très bonnes années parce que le réseau vrac/bio/zéro déchet s’est fortement développé. J’avais des produits qui rentraient tout à fait dans la gamme et la philosophie de ces commerces. Et donc, ça a été vraiment de très bonnes années, à tel point que c’est pendant ces années-là que j’ai engagé les trois personnes qui composent l’équipe aujourd’hui.
Aujourd’hui, sentez-vous les effets de la crise énergétique et de l’inflation?
Stéphanie Renard: Oui, on se rend compte maintenant que les gens font plus attention à leur budget.
Même si, nous, on a des produits qui leur permettent de faire des économies sur le long terme, ce sont quand même des produits qui coûtent un certain prix parce qu’ils sont fabriqués en Belgique et qu’on paie les gens dignement. Et donc on a toute cette concurrence qui vient d’Asie et qui propose des produits à moitié prix qui font qu’on a des difficultés parfois à se positionner correctement ou en tout cas à avoir des retours positifs au niveau des clients.
Après, c’est une question toujours de communication, d’apprentissage, de répéter tout le temps qu’on favorise l’économie belge, qu’on fait vivre l’économie du pays et que ça aussi c’est important.
En quoi la Renarde s’inscrit-elle dans la transition économique?
Stéphanie Renard: Premièrement, on a des produits durables, avec une durée de vie qui va de 5 à 10 ans, ça dépend du produit. Par exemple, une culotte menstruelle va être utilisée environ cinq ans. Une couche lavable, si elle est bien entretenue, va pouvoir faire 2 à 3 bébés.
Il y a aussi le choix des tissus qui va être important dans le sens. Je vais prendre le plus local possible. Et si je ne trouve pas, je veux vraiment aller chercher un tissu de bonne qualité qui va s’inscrire dans la durabilité du produit.
Votre entreprise a des vertus environnementales, mais aussi sociales…
Stéphanie Renard: Quand j’ai lancé La renarde, je voulais absolument avoir cet aspect social. La fabrication belge était quelque chose de très important. Mais je me suis vite rendu compte que si je ne me faisais pas aider par de vrais ateliers de couture équipés de manière professionnelle, ça n’allait pas fonctionner comme je l’espérais. Je me suis tourné vers les ateliers de travail adapté, ces ateliers qui emploient des personnes en situation de handicap. Actuellement, j’ai deux ateliers qui travaillent avec moi, dont un à cinq minutes d’ici et un deuxième qui est du côté flamand.
Avez-vous bénéficié d’aides publiques?
Stéphanie Renard: Je n’ai jamais sollicité d’aides financières, j’ai toujours essayé de m’en sortir sans. Par contre, je profite d’un accompagnement de Charleroi Entreprendre. J’ai sollicité ce service car je voulais quitter le grenier dans lequel je me trouve actuellement et avoir un local pour plus d’espace pour les machines, le stockage, etc.
J’ai 1000 casquettes : je suis responsable comptabilité, ressources humaines, production, responsable des achats, je suis responsable de tout et c’est quelque chose qui n’est pas évident à gérer au quotidien
Qu’est-ce qui est le plus dur dans votre job?
Stéphanie Renard: Concilier la vie de famille et la vie professionnelle. Quand j’ai décidé de quitter mon job pour devenir indépendante, mon but était aussi d’être une maman présente pour ses enfants, d’aller les conduire à l’école, aller les rechercher, passer du temps avec eux. Et ça, c’est parfois difficile parce, que certaines semaines j’ai un agenda qui déborde. Et il faut faire comprendre aux enfants que maman n’est pas là aujourd’hui pour aller les chercher à l’école. Donc ça, je trouve que c’est compliqué.
Après, quand l’entreprise grandit, il y a aussi toute cette gestion pour laquelle je ne suis pas formée au départ. J’ai 1000 casquettes : je suis responsable comptabilité, ressources humaines, production, responsable des achats. Enfin voilà , je suis responsable de tout et, ça, c’est quelque chose qui n’est pas évident à gérer au quotidien non plus.
À l’inverse, qu’est-ce qui procure le plus d’énergie positive?
Stéphanie Renard: Les retours client. Quand on a des clients qui viennent nous voir en disant “Écoutez, vous avez changé ma vie”. Ce sont des choses vraiment qui me motive. Et le fait aussi de me dire que je mets ma petite pierre à l’édifice. Je sais que les gens qui ont acheté chez nous des couches lavables et des serviettes hygiéniques, ce sont tous des produits jetables qui ne seront pas achetés.
Je me dis que, même si ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, c’est la goutte d’eau qui va peut être changer la donne écologique.
Montrer aux gens qu’il y a des solutions alternatives que ça existe, que ça ne coûte pas cher et que ça fait du bien à la planète
Pourquoi faites-vous tout ça?
Stéphanie Renard: Quand je me suis lancée, c’était pour proposer des solutions alternatives à tous ces produits jetables, essayer de contrer tous ces lobbies qui viennent nous imposer tous ces produits à usage unique et montrer aux gens qu’il y a des solutions alternatives que ça existe, que ça ne coûte pas cher et que ça fait du bien à la planète.
Je me dis que je fais quelque chose, je ne fais pas rien. Je mets vraiment mes compétences et mon expérience au service de gens qui ne savent pas coudre ou qui n’ont pas l’envie ou l’énergie. Et je leur propose de vraies solutions durables. Je sais qu’une femme qui va acheter mes serviettes hygiéniques, elle va les utiliser pendant dix ans, je me dis que c’est chouette. Je sais que pendant dix ans, potentiellement, les grosses marques ne vont pas vendre à cette personne-là . Et ça, je me dis “Allez, j’ai gagné”.
Et qu’en pensent les gens autour de vous?
Stéphanie Renard: Au début, c’était difficile, j’avais des retours assez dégoûtés sur des produits lavables. Mon entourage aussi, comme ma famille et autres. Donc c’était assez difficile, mais je m’en fiche. Je continue dans mes convictions et je remarque encore une fois, c’est ce fameux petit colibri qui va mettre sa petite pierre à l’édifice. Et puis à un moment, tout le monde va faire son petit colibri et ça va aller.