Magazzino récupère les décors: "J'avais du mal à voir tout cette matière jetée après quelques heures d'utilisation"
Entrepreneur·euses de la transition économique (5/7). L’économie circulaire, qui consiste à réutiliser ou recycler plutôt que jeter, est un modèle central dans la transition économique à laquelle appelle Ecolo. Chez Magazzino, société bruxelloise née il y a deux ans, on récupère des éléments de décor de tournages, de spectacles et d’événements pour les reproposer à la location ou à la vente. Nous avons rencontré sa cofondatrice, Alessia Guidoboni, dans les Ateliers Zaventem où travaillent une trentaine d’artistes et artisans. Elle venait d’y faire acheminer des caisses de transport d’oeuvres d’art en provenance de l’atelier d’un artiste à Paris. Ce genre de caisses est conditionné sur mesure. Chacune est conçue pour une oeuvre d’art spécifique et est souvent jetée ensuite, n’ayant eu qu’une seule vie. Magazzino permet leur réemploi. Cristina représente l’atelier Lionel Jadot, propriétaire des Ateliers Zaventem, qui a décidé de racheter ces caisses via Magazzino. “Les artistes et artisans qui travaillent ici ont des expos ou bien des commandes. Donc ils utilisent souvent ces caisses de transport en bois. Celles-ci coûtent cher mais elles sont souvent utilisées une seule fois parce que les objets sont souvent uniques. Notre idée est de récupérer ces caisses, d’adapter un peu l’intérieur pour pouvoir les réutiliser dans un nouveau transport, ou bien carrément les détourner dans un projet. À voir. En tout cas, je pense que, clairement, utiliser des objets une seule fois, ça n’a aucun sens de nos jours”, dit Cristina.
“C’est du très bon bois, en très bon état. Il suffit de le démonter pour en faire quelque chose d’autre, comme des tables ou des cloisons par exemple. Cela devient une logique tellement normale de ne plus jeter, qu’on a presque du mal à l’expliquer”, renchérit Alessia.
Les nouvelles générations, surtout celle des 20-25 ans, les nouveaux artistes aussi, ont une conscience que la matière première n’est pas indéfinie
Cristina embraye : “La génération de nos parents a eu une éducation où les choses s’utilisaient et puis on les jetait. Je pense que les nouvelles générations, surtout celle des 20-25 ans, les nouveaux artistes aussi, ont une conscience que la matière première n’est pas indéfinie, qu’il faut la garder un maximum, la réutiliser pour ne pas la perdre et garder des ressources pour la suite.”
La pertinence de la réutilisation n’est pas qu’environnementale, elle est aussi économique. “Cela coûte beaucoup moins cher de récupérer quelque chose qui a été déjà débité, traité, assemblé, que de devoir commander quelque chose qui a besoin d’être découpé sur mesure. Il n’y a pas besoin de nouvelles matières premières”, explique Alessia avec qui nous poursuivons la conversation.
Comment est né Magazzino?
Alessia Guidoboni: Je suis architecte de formation et je suis un peu spécialisée dans tout ce qui est décors scénographiques pour l’événementiel. J’ai beaucoup travaillé pour des événements comme des défilés, des mariages, des événements qui peuvent ne durer que dix minutes ou peut être une journée mais pas plus, et pour lesquels on fait une production de décors importante, avec des gros budgets. Le décor doit être exceptionnel, jamais vu, à la pointe, etc. Et tout ça est monté puis démonté en l’espace de deux jours de vie. J’ai commencé à avoir un petit peu de mal à voir tout cette matière qui partait, benne après benne. Ma partenaire Maud, qui est plutôt spécialisée dans le décor de cinéma et de théâtre, faisait exactement le même constat dans son milieu, avec ces bennes remplies de décor qui a duré très peu de temps. On s’est dit “C’est le moment!” En fait, si personne ne le fait, pourquoi on essayerait pas de construire quelque chose. Et voilà , maintenant, ça va faire deux ans et demi.
Comment ça marche?
Alessia Guidoboni: On propose aux boîtes de production de récupérer leurs éléments de décor pour les remettre en circuit. Soit on aide au démontage, soit on ouvre juste la porte de notre entrepôt pour entreposer la matière et la reconditionner de manière correcte avant de pouvoir la revendre ou alors la relouer, ce qui coûte nettement moins cher au client. La location aide forcément à éviter le gaspillage puisque les choses reviennent et les gens font aussi plus attention à l’usage. Notre matière de seconde main coûte évidemment moins cher que la neuve, mais ça ne veut pas forcément dire qu’elle est abîmée, parfois elle est quasiment neuve. Donc il y a un gain économique. Il y aussi des éléments construits, comme des panneaux de fond de décor au cinéma notamment, qui peuvent être réutilisés tels quels sans devoir passer du temps à la reconstruction. Donc une boîte de production qui doit reconstituer une façade, elle peut venir chez nous juste pour acheter des choses qu’elle peut assembler. Il peut donc aussi y avoir un gain en temps de production. Tous nos objets sont visibles sur notre site internet avec leurs dimensions et caractéristiques.
Forcer des milieux comme celui de l’événementiel à produire moins de déchets, c’est une stratégie qu’il faudrait avoir
Qu’attends-tu des autorités publiques?
Alessia Guidoboni: D’une part forcer un peu des milieux comme celui de l’événementiel à produire moins de déchets, c’est une stratégie qu’il faudrait avoir. Et puis d’autre part, aider les entreprises comme la nôtre, nous soutenir au niveau financier ou au niveau moral, nous aider à trouver des espaces qui sont corrects pour le stockage. Notre problème principal actuellement réside dans l’entreposage. C’est ce qui nous coûte le plus cher. On doit trouver des solutions pour que ça soit bien rentabilisé, pour que notre business model fonctionne.
Pourquoi fais-tu cela?
Alessia Guidoboni: Même si cette activité n’est pas très rentable pour nous, dans notre portefeuille, ça nous permet de nous auto-nourrir de quelque chose de très positif. Je pense que c’est très important que toute entreprise puisse avoir une démarche autre qu’économique. Une démarche vraiment qui vient du profond. C’est un principe en fait, comme une valeur de base.
Pourquoi jeter à la poubelle alors que je sais qu’on peut récupérer? Pour moi, c’est une évidence qu’on doit le faire
Je sais ce qui se passe derrière un événement, une scénographie, une production cinématographique, les tonnes de déchets qui ne sont pas prises en compte. Après deux ans d’activité de Magazzino, je sais ce qu’il faut faire pour éviter cela, je sais qu’il y a une manière de faire qui est peut-être un peu plus compliquée, qu’il faut sans doute aussi faire plus connaître aux gens, mais qui existe. Alors, pourquoi ne pas le faire ? Pourquoi jeter à la poubelle alors que je sais qu’on peut récupérer ? Pour moi, c’est une évidence qu’on doit le faire.
Je veux pouvoir faire de ma profession quelque chose de positif pour l’environnement, un peu à l’inverse de quand je travaillais sur les défilés et les mariages. J’espère pouvoir contribuer un maximum à faire baisser l’empreinte écologique. Pour le futur de mon enfant, pour le futur de ce monde.