De l'industrie minière au traitement des déchets médicaux: la reconversion verte et réussie d'Ecosteryl dans le Borinage
Entrepreneur·euses de la transition économique (7/7). Créée juste après la 2ème guerre mondiale, la société wallonne Ecosteryl, qui s’appelait alors Ateliers mécaniques du Borinage (AMB), fabriquait des machines pour l’industrie minière. Au changement de millénaire, elle s’est complètement reconvertie et produit désormais des machines qui traitent les déchets hospitaliers et s’exportent dans le monde entier. Nous avons rencontré deux de ses dirigeants, Romain Dufrasne, administrateur, et Amélie Matton, CEO, pour nous parler de cette société familiale qui a commencé sa transition écologique alors qu’on en parlait encore très peu.
Que fait Ecosteryl?
Romain Dufrasne: On a créé deux technologies. La première traite l’ensemble des déchets de soins de santé en les broyant et en les décontaminant. La seconde trie ces déchets pour leur recyclage final. On a créé une économie circulaire à partir d’un déchet qui, à la base, n’a pas vocation à l’être.
Amélie Matton: La société a fêté l’année dernière ses 75 années d’existence. Au moment de sa création, la société était active dans la sous-traitance en chaudronnerie et en mécanique pour l’industrie minière. Elle s’est complètement reconvertie et nous sommes aujourd’hui une quarantaine à travailler à la fabrication et l’exportation de ces machines environnementales pour le traitement des déchets médicaux.
En quoi votre entreprise participe-t-elle à la transition économique?
Amélie Matton: Quand on parle de transition économique, on ne peut pas s’empêcher de penser à la définition du succès d’une entreprise. Dans les années septante, c’était vraiment la maximisation du profit. Aujourd’hui, on migre vers une conception du succès de l’entreprise qui est une maximisation de son impact, c’est à dire, outre le fait que je sois rentable, quel élément vais-je intégrer dans ma stratégie pour mon développement ? Pourquoi le faire ? Pour différentes raisons. Parce que ça va faire sens évidemment, ça va motiver les équipes et les managers que nous sommes. Mais ça va aussi avoir un impact direct et une reconnexion avec l’environnement au sens large : le monde académique, le monde rural, etc.
Romain Dufrasne: On est parti de notre savoir-faire de constructeur de machines et on s’est demandé comment amener du sens au traitement des déchets médicaux, sachant que, de manière générale, il y avait trois filières principales, aucune satisfaisante sur le plan environnemental: l’incinération, l’enfouissement ou la mise en décharge. Avec ses machines, Ecosteryl a introduit une logique écologique et une économie circulaire dans un traitement de déchets.
Ecolo appelle à une accélération de la transition écologique dans l’économie. Est-ce que vous l’observez autour de vous?
Romain Dufrasne: On voit que ça bouge même si ça reste timide d’un point de vue plus macro. Mais je pars du principe que ça doit d’abord bouger d’un point de vue personnel, au niveau des individus. Ce sont les individus qui doivent être vraiment convaincus de ces nouvelles pratiques pour ensuite les déployer au niveau des entreprises et de la société en général. C’est une addition d’individus qui fait en sorte que la société évolue. Aujourd’hui, il y a des pratiques qui nous scandalisent alors que ce n’était pas forcément le cas hier. Mais le chemin reste encore encore très long et on se posera encore un tas de questions dans notre évolution vers le bon sens climatique.
Qu’attendez-vous du pouvoir politique?
Amélie Matton: Je pense que l’Etat doit être le garant que les bonnes pratiques soient appliquées. Et pour ça, il y a toute une série de programmes ou de politiques à mettre en place de manière à orienter les entreprises dans la bonne direction d’une part, et puis à stimuler et accélérer l’innovation afin de créer un climat motivant pour les entrepreneurs. En particulier dans les secteurs jugés comme importants pour les générations futures.
Romain Dufrasne: Si je peux rajouter une chose, c’est également aussi simplifier les institutions. En Belgique, on a un système très compliqué, notamment dans notre domaine des déchets qui est régionalisé. Amenons un peu de cohérence et de simplification dans ces thématiques-là pour faciliter justement les décisions et l’accélération qui vient d’être évoquée.
Amélie Matton: Enfin, on attend aussi du politique de faire en sorte que les différents acteurs d’un système se parlent, ce qui n’est pas encore assez le cas. Le monde universitaire, le monde de l’entreprise, les gouvernements, les institutions financières, les grandes entreprises travaillent un peu chacun, chacune, de leur côté. Si on veut que la création de valeur se fasse dans la bonne direction, il faut un cadre législatif mais aussi un climat d’échanges.
Quel est le frein principal à la transition économique?
Amélie Matton: Je crois qu’il y en a trois.
1. Une méconnaissance
Nous sommes au fait du sujet parce qu’on s’informe, qu’on veut évoluer, qu’on participe à des colloques spécifiques sur les thématiques qui nous concernent. Mais, de manière générale, l’accompagnement d’une entreprise et de ses dirigeants dans cette démarche de connaissance est trop faible.
2. Le manque de temps
On veut s’informer mais, et j’en viens au deuxième problème, on manque souvent de temps. Le temps qu’on prend à acquérir des connaissances, aura vraisemblablement un retour positif mais à long terme, pas sur le court terme.
3. Le cadre législatif
On a déjà mentionné ce point. Il faut un soutien législatif plus fort afin de pouvoir, tous ensemble, avancer dans la bonne direction, avec le soutien dans la mise en place des innovations que les entreprises développent.
Romain Dufrasne: Je pense qu’on est un trop petit pays pour commencer à créer des disparités et des concurrences. Il y a énormément de super initiatives, l’idée est de pouvoir réussir à trouver la bonne recette pour mettre ensemble ces ingrédients pour avoir le meilleur écosystème possible.
Comment s’est déroulée votre reconversion au niveau du personnel?
Romain Dufrasne: On a vraiment voulu intégrer les équipes dès le début, faire avec elles la construction de la culture et de la vision de l’entreprise, établir les axes stratégiques. On a des gens qui ont fait toute leur carrière ici dans l’entreprise. Quand on doit définir un “Qui sommes-nous?” on part de leurs avis.
Amélie Matton: Le pilotage de cette transition passe aussi par un alignement au niveau des actionnaires et du conseil d’administration. On sait qu’on a leur soutien et on va dans une direction voulue par tous.
Le type d’entreprises comme la vôtre qui ont un impact écologique attire-t-il davantage des demandeurs d’emploi?
Romain Dufrasne: Oui, bien entendu, l’aspect écologique attire. Mais pour nous, l’écologie constitue la base. On part du principe que toute entreprise aujourd’hui, quel que soit son secteur d’activités, doit absolument se tourner vers une transition écologique. C’est fondamental. On vient encore d’entendre ici le dernier rapport du GIEC. C’est absolument capital d’avoir ça comme fondement, que ce soit vécu et intégré dans la culture d’entreprise.
C’est plutôt ça, aujourd’hui, qui attire les talents ou qui participe à leur rétention. Que ces principes soient intégrés dans l’entreprise et soient vraiment vécus. Les jeunes générations sont plus attirées par des sociétés qui promulguent ce genre de valeurs.
Amélie Matton: Et ce n’est pas que les plus jeunes, je tiens à le préciser. On a aussi des candidatures spontanées de personnes qui ont fait leur carrière dans des boites qui avaient moins de sens pour eux et qui aujourd’hui se posent la question de dire “ok, je veux quoi pour mon/le futur?” Elles postulent chez nous parce qu’il y a ce produit qui est positif pour la santé, l’environnement, et parce qu’il y la culture d’entreprise qui va avec le produit.
Plus personnellement, que vous apporte ce travail?
Amélie Matton: Cela donne tout simplement envie de se lever le matin pour aller travailler. C’est juste évident pour nous. Le fait qu’on ait à cÅ“ur ce projet, qu’il ait du sens, qu’on ait des équipes qui nous soutiennent aussi dans cette démarche, fait du développement de l’entreprise quelque chose de passionnel. On est heureux d’y contribuer et de l’intégrer vraiment dans notre vie de tous les jours.
Romain Dufrasne: Être dirigeant d’entreprise n’est pas toujours facile. Il y a beaucoup d’aléas, beaucoup de choses à identifier et à gérer. Mais il faut toujours garder le cap et surtout ne pas perdre notre identité. Ça, je pense que c’est vraiment fondamental. Savoir rester humble aussi en toutes circonstances.