23. Un monde numérique éthique, inclusif et sobre

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Le numérique transforme notre société, et avec Ecolo nous voulons nous assurer qu’il soit mis au service de chacune et chacun, et d’une transition juste.

Le secteur présente beaucoup d’opportunités, mais les nouvelles technologies qui y sont associées, comme l’intelligence artificielle, ne permettront pas de résoudre tous les problèmes sociaux et environnementaux.

Le numérique doit rester un choix et non une contrainte, et nous souhaitons une régulation forte du secteur pour réduire son empreinte et protéger nos droits fondamentaux.

Nous soutenons un modèle numérique libéré des impératifs de productivité et de croissance à tout prix, basé sur la collaboration et l’inclusion de toutes et tous. Nous proposons un modèle de société convivial dans lequel le numérique profite réellement à toutes et tous.

23.1. Renforcer l’éducation numérique dans les écoles et auprès des publics fragilisés, notamment en développant et en élargissant les missions des Espaces Publics Numériques (EPN).

L’éducation au numérique doit être renforcée face aux défis importants que pose ce secteur. Deux grands publics sont visés ici : les élèves et les personnes à faible compétence numérique. La priorité est d’apporter un financement structurel aux associations, qui effectuent un travail essentiel pour ces deux publics. Ce financement pourrait être octroyé via la redirection des stratégies d’investissement numérique régionales et fédérales, pour le moment concentrées sur le soutien au secteur privé. Pour renforcer l’éducation et la formation, les priorités sont :

  • Mieux former les encadrant·es au numérique ;
  • Fournir du matériel de qualité et promouvoir le logiciel libre ;
  • Conscientiser sur les impacts sociaux et environnementaux du secteur, informer sur les risques numériques, notamment le cyberharcèlement ;
  • Intégrer la dimension relative à l’éducation aux médias dans les métiers du numérique ;
  • Proposer des activités parascolaires et extrascolaires aux écoles pour renforcer les compétences en usages médiatiques et numériques créatifs et responsables, en ce compris sur les réseaux sociaux.

Pour les personnes à faible compétence numérique, nous voulons :

  • Développer les Espaces Publics Numériques (EPN) et élargir leurs fonctions pour qu’ils deviennent des points d’accès privilégiés et inclusifs pour toute aide informatique et le soutien aux politiques d’éducation aux média ;
  • Garantir que le principe d’inclusion by design  est appliqué lors de la conception des services numériques : sensibiliser les ingénieur·es responsables et faire participer activement les usagers et usagères vulnérables au processus de conception.

23.2. Étendre la garantie légale des appareils électroniques.

À l’image de nos voisins tels l’Irlande, la Norvège ou les Pays-Bas, étendre la garantie au-delà des directives européennes est un signal fort vers un modèle de numérique plus durable. Au niveau belge, nous proposons d’établir une garantie légale de 5 ans pour les appareils électroniques neufs. Au niveau européen, dans le cadre des négociations sur la proposition de directive sur le « droit à la réparation », nous demandons que l’extension de la garantie légale soit équivalente à la durée de vie prévue du produit.

23.3. Encourager le développement du right to repair et généraliser la capacité d’utiliser les logiciels libres.

Le right to repair est un droit important et trop peu pris en compte par l’industrie du numérique. L’indice de réparabilité mis en place récemment constitue en ce sens une première étape de choix. Pour aller plus loin, il faut :

  • Renforcer un droit à la réparation y compris après la fin de la garantie légale et ouvert aux réparatrices et réparateurs indépendants (c’est-à-dire autres que la marque elle-même). Au niveau européen, nous soutenons la création d’un index des réparations contenant des informations claires sur la durée de vie et les possibilités de réparation. Les pièces de rechange et les instructions doivent également être facilement accessibles et abordables pour les réparatrices et réparateurs indépendants et les citoyen·nes ;
  • Concevoir un mécanisme de financement des réparations  (à l’image du système français french repair fund ou des bons de réparation en Autriche) avec pour objectif de rendre la réparation abordable pour tous et toutes et bien plus avantageuse qu’un rachat ;
  • Généraliser la capacité d’utiliser les logiciels libres sur tous les appareils pour diminuer l’obsolescence logicielle.

23.4. Lutter activement contre les cyberviolences, notamment via une révision de l’article 150 de la Constitution et en imposant des règles pour une meilleure modération des contenus.

Les cyberviolences sont un phénomène ancien, exacerbé par la crise sanitaire. La prévention à ce sujet, notamment dans l’éducation est nécessaire mais doit aller de pair avec :

  • Une meilleure formation du personnel enseignant et d’encadrement à la jeunesse : mise en avant des ressources disponibles, former les encadrant·es à détecter et répondre aux signes précurseurs ;
  • Une révision de l’article 150 de la Constitution pour que les critères de correctionnalisation du délit de presse soient étendus au genre, à la conviction philosophique ou religieuse, au handicap, à l’âge et à l’orientation sexuelle ;
  • Une meilleure formation du personnel judiciaire à ce type de délit ;
  • Adapter les stratégies de déploiement du numérique régionales et fédérales pour qu’elles intègrent les enjeux sociaux du numérique, et rediriger les canaux de financement vers les structures actives dans ces domaines ;
  • Au niveau européen, imposer des règles pour une meilleure modération des contenus dans les algorithmes des plateformes contrôlées par les Big Tech.

23.5. Mettre en place une politique de transparence active et d’open data dans l’administration publique.

L’administration publique doit faciliter l’engagement citoyen et l’exercice de la démocratie. La transparence active permet à toute citoyenne et tout citoyen de vérifier le travail de l’administration, en fournissant un accès par défaut aux informations d’intérêt public. La pratique de l’open data promeut quant à elle une transparence algorithmique de plus en plus nécessaire au vu de l’utilisation croissante de systèmes algorithmiques dans le secteur public. Promouvoir ces deux mouvements au sein de l’administration publique est important pour que chaque citoyen·ne puisse exercer les droits relatifs à ses données personnelles et se faire une idée du traitement algorithmique auquel elle ou il est soumis. Concrètement il faut, pour les organismes publics :

  • Mettre en place et rendre obligatoire les études d’impact sur les droits humains avant tout déploiement d’algorithme IA ;
  • Créer un registre public des algorithmes IA utilisés ;
  • Assurer le droit à la communication du code source de l’algorithme et le droit à l’explicabilité de celui-ci ;
  • Mettre en place un système de gestion des risques et de contrôle tout au long du cycle de vie de l’algorithme, qui publie des rapports réguliers.

23.6. Intégrer le principe du public money public code qui prévoit que les algorithmes et logiciels conçus avec de l’argent public doivent voir leur code publié sous licence libre.

Les algorithmes et logiciels conçus avec de l’argent public doivent voir leur code publié sous licence libre. Les raisons pour légiférer en ce sens au niveau fédéral sont multiples. Économiquement, cela évite des coûts inutiles car il n’est pas nécessaire de repartir de zéro pour coder deux applications similaires. Cela encourage aussi l’innovation, car les programmeurs et programmeuses qui ont accès à des bases algorithmiques libres peuvent se concentrer sur les parties innovantes du code en profitant de ce qui a déjà été effectué par d’autres. Enfin, le principe public money public code promeut la collaboration entre projets et permet que l’argent investi bénéficie au maximum aux citoyens et citoyennes qui paient pour l’élaboration des services numériques concernés.

Les médias locaux privés, qui évoluent dans un environnement hautement concurrentiel et dominé par les GAFAM, doivent également être soutenus dans leurs développements technologiques, et avoir un accès équitable aux plateformes numériques et aux outils technologiques les plus adaptés.

23.7. Protéger et soutenir les métiers créatifs face au développement de l’intelligence artificielle (IA) .

L’IA peut soutenir l’activité professionnelle de certaines industries, comme les industries créatives, de l’audiovisuel et des médias. Elle peut offrir des outils intéressants par exemple en termes de recherche, de perfectionnement des décors ou des images. En revanche, elle n’a pas vocation à créer des récits ou à produire des informations.

Il est indispensable de créer les cadres légaux permettant de protéger l’activité professionnelle et les droits de propriété intellectuelle des créateurs, créatrices, auteurs, autrices, scénaristes et photographes par exemple.

De la même manière, le travail des journalistes, tant dans la production des contenus que dans leur rôle d’authentification et de certification de l’information doit être protégé et soutenu. Il s’agit également de garantir le droit des citoyens et citoyennes d’avoir accès à de l’information fiable, vérifiée et diversifiée.

23.8. Élaborer une stratégie fédérale de soutien au développement des low-techs, notamment en prévoyant un soutien financier à la diffusion des low-techs et en créant un centre de recherche.

Un investissement structurel à long terme dans les technologies et l’innovation low-tech est nécessaire si nous voulons poursuivre une trajectoire technologique responsable et socialement juste. Le but est de créer un écosystème favorable à leur essor massif, ce qui peut se traduire par la création d’un centre de recherche sur les low-techs ainsi qu’un soutien financier pérenne aux initiatives de développement, de déploiement et d’appropriation de ce type de « technologie conviviale ». Ce soutien doit viser à privilégier les structures locales et à dimension sociale des low-tech, à rebours d’une récupération « technocratique » du mouvement qui le viderait de son potentiel à changer notre rapport à la technologie.

23.9. Passer du digital first au inclusion first en garantissant un service public et privé accessible à toutes et tous, ainsi qu’une participation citoyenne inclusive.

Près d’une personne sur deux, pour des raisons moins techniques que sociales ou physiques n’a pas de compétences numériques de base. Cette mesure est essentielle pour protéger les personnes plus fragilisées et garantir un service public et privé accessible à tou·tes, ainsi qu’une participation citoyenne inclusive. Concrètement cela se traduit par :

  • En finir avec le digital first dans les stratégies numériques publiques au niveau régional et fédéral ;
  • Des guichets physiques facilement accessibles et en nombre suffisant pour toute démarche administrative ;
  • Des lignes téléphoniques avec un interlocuteur ou une interlocutrice humaine facilement joignable et à même de répondre aux différents besoins des citoyen·nes ;
  • L’instauration d’une obligation de résultat pour les entreprises et administrations concernées, c’est-à-dire l’obligation de fournir, par téléphone ou autres moyens non-numériques et dans un délai raisonnable, une aide suffisante pour que la démarche soit réellement effectuée à toute personne normalement diligente, quel que soit son équipement et ses connaissances informatiques ;
  • La suppression d’une différence de prix entre la version numérisée d’un service et la version physique ;
  • La sensibilisation et la formation des personnes du service public aux difficultés liées aux inégalités numériques.

En somme, un refus d’une politique du « tout numérique », qui ne tient pas compte des réalités des personnes en situation de précarité numérique.

23.10. Imposer un plan numérique durable à toutes les grandes organisations belges.

L’impact écologique du secteur numérique est à la hausse, et cette tendance doit être inversée. Un plan numérique responsable va être appliqué pour les services de téléphonie mobile en Région de Bruxelles-Capitale. Cette mesure a pour but d’étendre ce plan à l’ensemble des grosses entreprises belges du numérique, c’est-à-dire à toutes les grandes organisations, privées comme publiques. En effet, les grandes organisations sont aussi les plus grandes consommatrices d’infrastructures numériques (terminaux, datacenters, etc). L’objectif est à la fois que l’énergie et les ressources consommées soient quantifiées par les organisations, mais aussi qu’elles aient des objectifs de consommation à respecter à terme.

23.11. Renforcer la sécurité informatique des institutions publiques et des structures sensibles.

La cybersécurité est une question de sécurité nationale, en particulier pour des structures sensibles telles que les établissements de santé, la Défense, le registre national, etc. Relever le niveau de sécurité informatique des institutions publiques est un enjeu important pour prévenir des attaques qui pourraient paralyser nos institutions et/ou compromettre la sécurité de données critiques.

23.12. Accompagner la digitalisation responsable des entreprises.

Les technologies numériques sont de mieux en mieux intégrées par les entreprises belges, notamment grâce au soutien public à la digitalisation. Nous souhaitons continuer à encourager cette tendance en ciblant les usages qui font sens au niveau écologique et social. Pour ce faire, nous promouvons le déploiement de technologies numériques de manière ciblée. Tout d’abord là où ces technologies peuvent contribuer à réduire l’empreinte écologique des entreprises. Mais aussi là où leur usage profite avant tout aux travailleurs et travailleuses ainsi qu’à la collectivité, et ne participe ni à une surveillance accrue sur le lieu de travail, ni à l’élaboration d’une société du « tout-digital », qui exclut les plus fragilisé·es.

23.13. Créer un observatoire du numérique chargé d’évaluer les choix technologiques du secteur.

L’observatoire du numérique serait une structure indépendante en charge de suivre la trajectoire du numérique et plus généralement d’évaluer les choix technologiques du secteur. Cette nouvelle instance aurait plus spécifiquement pour objectif d’anticiper et de rendre des avis sur le déploiement, les usages et les conséquences des technologies du numérique. Pour mener à bien sa mission, elle devrait être composée à la fois d’expertes et d’experts et de membres actifs et actives de la société civile. L’Observatoire du numérique remplit donc à la fois un but informatif et réflexif sur la trajectoire technologique, mais donne aussi le cap pour la redirection des technologies numériques afin qu’elles respectent des objectifs de soutenabilité et de désirabilité dans le cadre de la transition juste.

23.14. Mettre fin au saupoudrage et soutenir les filières d’excellence numérique en Wallonie et à Bruxelles.

Le potentiel de développement du secteur numérique en Belgique est important, à condition de choisir des priorités et des niches à haute valeur ajoutée en lien avec notre écosystème économique. Plutôt qu’un saupoudrage des subventions publiques au secteur, privilégier le développement d’actions ciblées sur les points forts (en lien par exemple avec les secteurs de l’image et de l’audiovisuel, de l’open source, et de la santé) et conditionnées à des critères sociaux, de sobriété et de respect de l’environnement.

23.15. Soutenir et collaborer aux initiatives visant à développer des applications d’intelligence artificielle sûres, libres et éthiques au niveaux belge et européen.

Cette mesure vise à participer au développement d’une IA sobre, éthique, démocratique et réfléchie en Europe pour ne pas dépendre des États-Unis ou de la Chine, en suivant la philosophie du logiciel libre. Il faut réaffirmer la nécessité de développer des nouvelles technologies qui soient sûres et qui respectent les contraintes écologiques, les exigences sociales et les principes de transparence. Pour ce faire, la collaboration et le partage de connaissances au niveau européen semble indispensable. À ce titre, il convient de favoriser la coopération intra-européenne pour le déploiement et l’utilisation de logiciels plus respectueux des utilisateurs et utilisatrices et des professionel·les de l’IA, ainsi que de soutenir la création d’une banque commune d’algorithmes libres.

23.16. Réguler le déploiement des technologies de surveillance, notamment en interdisant les mécanismes de surveillance et de contrôle généralisés.

Les usages de logiciels de traitement algorithmique se multiplient et appellent à réaffirmer le rôle que nous voulons confier à ces technologies dans la société. À ce titre, il est essentiel de réguler, notamment au niveau européen à travers la législation sur l’intelligence artificielle (AI act), leur déploiement et leurs usages, en particulier en interdisant les technologies qui s’attaquent aux droits fondamentaux des citoyen·nes et posent un risque inacceptable pour la collectivité. Cela comprend notamment :

  • Les technologies de reconnaissance faciale généralisée et de biométrie ;
  • Le predictive policing  et l’établissement du profil de risque pour les comportements criminels et les infractions administratives ;
  • La surveillance généralisée des communications ;
  • La reconnaissance du comportement dans l’espace public ;
  • L’interdiction de la reconnaissance des émotions dans l’application de la loi, dans la gestion des frontières, dans l’éducation et le milieu de travail;
  • L’interdiction de la catégorisation biométrique, c’est-à-dire interdire les systèmes qui catégorisent les personnes en fonction de seules caractéristiques sensibles comme l’ethnicité, la santé, la sexualité ou le genre.

23.17. Renforcer l’indépendance et le financement de l’Autorité de Protection des Données (APD) et garantir l’effectivité d’un contrôle indépendant.

L’APD est sous-financée et a été minée par des conflits d’intérêts ces dernières années. Au niveau belge, nous voulons tout d’abord assurer le respect des réglementations européennes portant sur la protection des données, dont le RGPD et le Digital Services Act, et faire de l’APD un exemple en Europe capable de promouvoir la souveraineté numérique du pays face aux nombreux abus du secteur privé, et notamment des Big Tech. Une APD compétente doit être capable de protéger proactivement les intérêts des individus, et de répondre efficacement aux nombreuses demandes qui lui sont adressées. Ensuite il faut aussi pouvoir garantir l’effectivité d’un contrôle indépendant sur celle-ci. Enfin et dans un souci de transparence et de simplification institutionnelle, intégrer les missions de l’organe de contrôle de l’information policière à l’APD est une solution pour une gestion plus démocratique des bases de données personnelles belges. Au niveau européen, nous plaidons pour un renforcement et une actualisation des règlements en matière de protection des données notamment face au développement de logiciels d’IA, afin d’imposer plus de transparence de la part des Big Tech ainsi que des règlements plus stricts par rapport à la collecte, au traitement et au stockage des données personnelles. Cette transparence doit notamment se manifester par une divulgation claire des acteurs du secteur de la liste des tiers auxquels les données personnelles des individus sont partagées.

23.18. Organiser des campagnes de sobriété numérique et de réflexion citoyenne sur les choix technologiques.

Mettre en avant la problématique environnementale et sociétale des technologies numériques, proposer des lignes de conduite et des actions concrètes (récolte d’appareils pour leur donner une seconde vie, promotion des filières de réparation), mais aussi soulever des questionnements sur nos attachements au numérique et susciter un débat citoyen sur le rôle que nous pouvons et voulons lui confier dans la société : à quoi ressemble un numérique à la fois soutenable et désirable ? Quels usages voulons-nous conserver ou intensifier et desquels pouvons-nous nous passer, partiellement ou définitivement ? L’objectif est une réappropriation démocratique des choix technologiques, nécessaire pour une transition juste vers un numérique inclusif et durable.