Économie et fiscalité

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Le grand micmac fiscal belge

En Belgique, la fiscalité repose trop fortement sur le travail, moyennement sur la consommation et faiblement sur la pollution et le capital (à quelques exceptions près pour ce dernier).

Si elle est trop élevée au moment où vous achetez votre maison, elle est trop faible lorsque des plus-values financières sont réalisées. Parallèlement, les voitures de société sont fortement subsidiées et la lutte contre la fraude fiscale trop souvent inopérante. C’est sûr : il est temps de revoir nos priorités fiscales.

Karima et Quentin, couple de jeunes trentenaires, habitent les vertes campagnes du Hainaut. Tous les deux ont un emploi : elle est enseignante, il est assistant social. Et deux enfants en bas âge viennent parfaire ce tableau familial. Ils ont acheté une maison il y a deux ans, en empruntant sur une longue durée. Ils nʼont pas dʼautres revenus que ceux de leur travail. Si l’on additionne leurs cotisations sociales et l’IPP (l’impôt sur les personnes physiques), ce couple contribue fiscalement à hauteur de près de 47% de leurs salaires, c’est-à-dire presque la moitié de leurs revenus. Une contribution qui peut d’ailleurs monter jusquʼà plus de 53% pour un célibataire sans enfant : un record qui fait de la Belgique le pays le plus taxateur sur le travail.

Et pour le reste ? Les taxes payées pour acheter leur maison ont, elles aussi, été très élevées : en Belgique, le droit d’enregistrement sʼélève en moyenne à ±10% de la valeur du bien immobilier. Enfin, ne bénéficiant pas d’une voiture de société, Karima et Quentin ont dû emprunter pour acquérir une voiture.

Étrange situation puisque, pendant ce temps, la fiscalité sur les fruits du capital et de la spéculation boursière reste quasi inexistante. Sans parler de ceux qui ne jouent pas le jeu correctement et pratiquent impunément la fraude à grande échelle : des milliards dʼeuros échappent annuellement à lʼimpôt, et donc à la redistribution pour la collectivité. Faut-il encore préciser que la crise financière a pourtant très largement démontré les dérives colossales dʼun système financier dérégulé ?

Avec un PIB de près de 430 milliards d’euros, la Belgique nʼa jamais créé autant de richesse, et pourtant, celle-ci reste extrêmement mal redistribuée. Ce n’est pas un secret : le manque de moyens se fait cruellement ressentir dans lʼenseignement, les soins de santé, pour la mobilité douce ou les transports en commun, c’est-à-dire pour les services publics de base qui font le quotidien de Quentin, de Karima et de leurs enfants. Pendant ce temps, les plus aisés continuent de payer proportionnellement beaucoup moins d’impôts que les petits contribuables. Injuste, nʼest-il pas ?

Ce n’est pas tout. Savez-vous que, si on regarde la fiscalité environnementale, la Belgique se situe dans les dernières places des pays européens ? Bref, les comportements néfastes à lʼenvironnement ne sont pas dissuadés et le travail est surtaxé, alors quʼil est évidemment bénéfique pour la collectivité. Le système fiscal belge actuel est donc injuste, inéquitable et inefficace. Injuste car il nʼest pas assez progressif, et que ce ne sont pas toujours ceux qui ont davantage de revenus qui contribuent proportionnellement le plus. Inéquitable car deux personnes qui ont les mêmes revenus ne paient pas nécessairement les mêmes impôts et que les impôts ne tiennent pas suffisamment compte des moyens financiers réels des citoyens. Inefficace car il freine la création dʼemplois et il encourage démesurément certains comportements polluants.

C’est un déséquilibre qui fragilise le consensus citoyen autour de ce que l’on appelle communément « les contributions », qui favorise lʼingénierie fiscale agressive, la fraude, les égoïsmes et lʼindividualisme. Revoir le système fiscal belge pour le rendre plus juste, ce n’est donc pas uniquement une question technique : c’est avant tout un choix de société et une vraie nécessité pour la justice sociale. La révision du système fiscal nous permettrait de (re)créer un projet collectif et de (re)financer les services publics qui bénéficient à chacun·e.

Et donc aussi à Quentin, Karima et leurs enfants.

« La fiscalité, c’est l’outil qui permet la vie en société. »

Interview Jean-Marc Nollet

Jean-Marc Nollet a été Ministre des gouvernements de la Communauté française et de la Région wallonne. Il était jusqu’à très récemment chef de groupe Ecolo-Groen à la Chambre, en alternance avec son homologue néerlandophone : Kristof Calvo. Il a succédé à Patrick Dupriez à la coprésidence d’Ecolo, en tandem avec Zakia Khattabi.

Il faut bien l’avouer, la fiscalité a mauvaise réputation… Mais si on en revient aux sources, c’est quoi, la fiscalité ?

C’est une bonne question. La fiscalité, c’est un outil qui permet de faire trois choses. C’est d’abord un outil qui permet la vie en société, en finançant des services qui ne peuvent pas être financés de manière individuelle, c’est-à-dire par des individus pris séparément. Par exemple : les hôpitaux, les écoles ou la SNCB. Quand vous prenez le train, une partie du trajet est payée par l’achat de votre ticket ou par votre abonnement, mais il y a aussi une grande partie financée par les deniers publics. La fiscalité, c’est donc avant tout une manière de créer des services collectifs qui doivent être organisés par une société. Deuxièmement, c’est aussi une manière de redistribuer partiellement les richesses produites en faisant contribuer plus ceux qui ont plus de moyens. Et enfin, la fiscalité, c’est aussi un moyen d’orienter les comportements, en diminuant le prix des choses qu’il est positif de choisir parce que c’est bon pour l’intérêt général, et en augmentant celui des biens ou des comportements à proscrire. Par exemple, la fiscalité permet de mettre un frein à la consommation de ce qui pollue, et simultanément de soutenir positivement ce qui est réutilisable, ou bon pour la santé, etc. Ce sont les trois fonctions de la fiscalité : collectivisation, redistribution et orientation.

Et cela concerne tous les types de fiscalité : immobilière, mobilière, sur le travail, sur le patrimoine, sur l’héritage, …

Certains décrivent la Belgique comme un état qui taxe beaucoup trop. D’autres, au contraire, estiment que la Belgique est un abri pour les grosses fortunes. Alors, la Belgique, enfer ou paradis fiscal ?

En fait, ce n’est pas contradictoire et c’est la vérité : la Belgique est à la fois un enfer et un paradis fiscal. C’est un paradis fiscal pour ceux qui sont « volatiles », c’est-à-dire ceux qui peuvent facilement se déplacer géographiquement, mais aussi ceux qui sont volatils dans leurs types de placements ou d’investissements financiers ou de revenus. Pour d’autres, principalement les classes moyennes ou les PME, c’est un enfer fiscal car la pression fiscale qu’ils subissent est extrêmement importante… surtout au regard de ceux qui arrivent à y échapper : les multinationales par rapport aux PME, les gros revenus par rapport aux bas et moyens revenus… Qui plus est, c’est un enfer aussi d’un point de vue administratif, car il est extrêmement complexe d’optimaliser sa fiscalité et de bénéficier d’exonérations.

Il est alors nécessaire d’avoir, par exemple dans les PME, des experts-comptables, des fiscalistes : ce qui ne manque certes pas aux multinationales. Tout cela explique que la Belgique puisse être ressentie comme un enfer fiscal par certains. Bien sûr, a contrario, ceux qui la vivent comme un paradis fiscal n’ont pas trop tendance à le souligner ! Entendons nous : ce n’est pas pour autant un paradis fiscal comme peuvent l’être certains lieux offshore qui tournent le dos à tout type de fiscalité et de législation. Mais le problème belge est réel et doit se comprendre dans ce double ressenti de la fiscalité.

Oxfam a justement souligné début janvier l’incroyable disproportion de la répartition des richesses dans le monde qui contribue fatalement à créer un sentiment d’injustice terrible. Que peut-on faire par rapport à cela ?

C’est effectivement révoltant ! En Belgique, la fiscalité sur le travail est trop élevée et la fiscalité sur le patrimoine est trop faible. Pourtant, ce qu’il faut faire est connu. Mais malheureusement, rien ne bouge depuis 10 ans.

La première chose à faire, c’est de lutter contre la fraude, c’est-à-dire – et cela peut paraître fou de devoir le souligner – simplement appliquer le système fiscal, tel qu’il est établi dans la loi. Mais vraiment vouloir l’appliquer ! Cela passe par plus de contrôleurs des contributions dans l’administration, mais aussi par la justice et les moyens accordés à la lutte contre la fraude. Or, ces moyens ont été volontairement diminués ces dernières années. Lutter contre la fraude, c’est donc prioritaire.

Prioritaire et suffisant ? Ne faut-il pas également repenser tout notre système de fiscalité ?

En effet. Ce qu’il faut, c’est changer les orientations du système sur les trois fonctions de la fiscalité que j’ai évoquées. Et c’est faisable : au niveau des services publics, tout d’abord. Parce qu’il faut bien le constater : les services collectifs ont tendance à être de plus en plus privatisés. Et en les privatisant, on les rend accessibles à une partie de la population mais surtout inaccessibles à d’autres. Par exemple, on ferme les petites gares dans les zones rurales, car il s’y trouve moins de contribuables (ou en tout cas pas assez pour que le service soit rentable). Or, c’est précisément l’idée d’un service public : être accessible à des gens qui ne peuvent pas forcément se payer ce service.

Et au niveau de la redistribution ?

Sur le volet redistributif, certaines tranches d’impôts – c’est-à-dire les différents niveaux de contribution en fonction des moyens – ont été supprimées. Et ce ne sont pas les plus basses mais, au contraire, les tranches les plus hautes. On a donc un système qui est moins redistributif qu’avant, ce qui contribue à renforcer un sentiment profond  d’injustice.

Vous évoquiez aussi la fiscalité comme un outil d’orientation ou d’incitation…

Oui, sur le volet incitatif, la Belgique est un des pays qui incite le moins via sa fiscalité. Les écologistes veulent des vrais signaux : inciter les comportements vertueux et décourager les comportements problématiques. Par exemple, sur les émissions de gaz à effet de serre, l’efficacité énergétique ou encore le développement des alternatives au gaspillage et à la surconsommation, on doit pouvoir davantage faciliter, inciter, toute une série de comportements positifs.

Bref, sur ces trois dimensions de la fiscalité, on doit pouvoir introduire des changements. Mais cela ne sera crédible pour les Belges que si, en même temps, on lutte « vraiment » contre toute forme de fraude. Et pour la fraude il y a une ligne très simple : il faut prendre les plus gros d’abord. Pourtant, ce qui est fait aujourd’hui, c’est précisément l’inverse : il est plus facile d’attraper un mauvais petit contribuable qu’un très mauvais gros contribuable, qui, lui, évite donc complètement les impôts.

Actuellement on s’attaque aux petits indépendants plutôt qu’aux gros poissons : ça ne va pas. On cherche des ennuis à l’allocataire social ou à ceux qui partagent un petit logement, ou qui sous-louent. Par contre, on laisse passer des choses énormes au niveau des entreprises ou des très grosses fortunes, ou sur des placements à l’étranger par exemple. Tout cela contribue également à ce sentiment d’injustice, et fait très légitimement réagir la population. Mais ça peut changer, et cela ne tient qu’à nous.

Est-ce que la compétition entre pays européens ne bloque pas toute mesure crédible au niveau national ?

Des choses doivent se passer au niveau européen, bien sûr. Prenons la fiscalité sur le grand capital, qui est plus facile à réglementer au niveau européen, pour éviter la mobilité des capitaux entre les pays. Mais ça se joue aussi chez nous, contre la fraude notamment : l’Europe ne peut pas être une excuse pour ne rien faire au niveau national. D’autant plus que, si l’Europe incarne une partie du problème, elle est aussi, et même surtout, une solution potentielle ! Pour l’instant, la dérégulation européenne se joue à la majorité simple, mais la régulation à l’unanimité : c’est une des choses qu’il faut impérativement changer. Et qui fait aussi partie des propositions écologistes.

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Nos 18 propositions

  • Proposition 1

    Appliquer une fiscalité similaire et progressive aux revenus du travail et aux revenus mobiliers (globalisation des revenus)

  • Proposition 2

    Réformer globalement l'IPP afin de le rendre plus juste, plus simple, plus efficace et plus progressif, notamment par l'introduction d'un crédit d'impôt et une meilleure progressivité des taux.

  • Proposition 3

    Rendre les choix écologiques moins chers en augmentant la fiscalité sur les services et produits polluants, en supprimant les subsides dommageables, en appliquant le principe du pollueur-payeur et en abaissant la fiscalité sur les services et les produits écologiques.

  • Proposition 4

    Instaurer au plan européen des droits sociaux et environnementaux par rapport aux marchandises et services importés, afin de rétablir une concurrence loyale, de favoriser les circuits économiques courts et d’exercer une pression sur l’amélioration des conditions sociales et environnementales de production.

  • Proposition 5

    Instaurer une cotisation de crise sur les patrimoines supérieurs à 1 million d’euros, qui serait définie à hauteur de 1% à 1,5%, avec une exonération dans la base de calcul de l’habitation principale ainsi que des biens productifs utilisés dans le cadre d’une activité professionnelle.

  • Proposition 6

    Lutter contre l’évasion fiscale des multinationales en étendant le reporting public pays par pays déjà imposé aux banques, pour que toutes les multinationales déclarent les paramètres essentiels de leurs activités (dont chiffre d’affaires, profits, taxes payées, subsides reçus, personnes employées …) pour chaque pays où elles sont actives.

  • Proposition 7

    Mettre en place un pacte finance-climat européen qui permet de financer la transition énergétique notamment via la création d’une banque du climat qui, bénéficiant de prêts de la BCE, pourrait octroyer des prêts à taux zéro à chaque pays pour financer leur transition écologique.

  • Proposition 8

    Renforcer les mesures de régulation financière, en séparant de façon stricte les métiers bancaires, en interdisant les pratiques spéculatives, en améliorant leur transparence, et en favorisant l’émergence de banques plus petites, spécialisées et éthiques.

  • Proposition 9

    Maintenir la banque Belfius dans le giron public et la mettre au service de l’économie belge, de la transition écologique, des PME et des collectivités locales.

  • Proposition 10

    Lutter réellement contre la fraude fiscale en renforçant les différents services du SPF, les dispositifs policiers et judiciaires et les mesures de sanction.

  • Proposition 11

    Transformer l’avantage fiscal de 20% pour accroître les investissements verts en un crédit d’impôt et pérenniser la mesure au-delà de 2019.

  • Proposition 12

    Moderniser la fiscalité immobilière pour la rendre plus juste à travers la péréquation du revenu cadastral ou le remplacement de la base imposable.

  • Proposition 13

    Harmoniser progressivement l’impôt des sociétés au niveau européen, en commençant par l’assiette commune consolidée et la fixation d’un taux plancher commun.

  • Proposition 14

    Favoriser l’émergence de monnaies complémentaires pour développer l’économie locale.

  • Proposition 15

    Orienter les placements des fonds de pension, de façon à favoriser les placements dans les secteurs économiques innovants et « durables » (économie sociale, nouvelles technologies vertes, économies d'énergie, ...).

  • Proposition 16

    Réformer la zone euro en la dotant d’une capacité budgétaire propre.

  • Proposition 17

    Agir au niveau européen pour transformer en dette perpétuelle à taux zéro une partie de la dette des États membres de l’UE détenue par la BCE pour alléger la charge sur les budgets.

  • Proposition 18

    Initier une étude de synthèse sur la pertinence et les moyens de remplacer la Taxe sur la Valeur Ajoutée par une Taxe sur la Valeur Prélevée et faire évoluer la fiscalité sur la consommation pour favoriser une économie plus circulaire.

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