Sa fonction le place au coeur de la politique, là où il s’agit de décider quoi faire, d’établir des stratégies, de trouver des compromis. Un job passionnant et exigeant, qui réclame loyauté, empathie, capacités à analyser et à convaincre. Un job que Mohssin considère avant tout comme un privilège.
En quoi consiste le job de directeur politique?
La mission est double.
Il y a d’abord une mission de conseil pour la coprésidence. D’une certaine manière, le directeur politique est le premier conseiller politique des coprésidents.
La seconde mission consiste à coordonner, avec l’aide de Nicolas Blanchart, le directeur politique adjoint, les départements politiques Ecolo: la communication, le CJM (NDLR: Centre Jacky Morael) qui rassemble les “experts” dans différents domaines (voir le portrait d’Elodie Belleflamme, conseillère politique Energie-Climat), le service qui s’occupe plutôt de la mobilisation et de l’adhésion des membres (appelé AMA), et enfin le service qui appuie les mandataires au niveau local (conseillers communaux, échevins, bourgmestres), appelé le PAL.
Quel genre de conseils donnez-vous aux coprésidents?
Une des tâches principales des coprésidents, comme d’autres mandataires politiques est de décider d’une série de choses. À un moment donné, sur base du programme d’Ecolo et des concertations dans le parti, ils vont défendre la position d’Ecolo sur l’un ou l’autre sujet qui fait l’actualité. Ils ont aussi des décisions à prendre concernant l’organisation du parti. Mon job de directeur politique est d’éclairer les coprésidents pour que les décisions soient les plus alignées possible avec les intérêts du parti de l’écologie politique et de l’intérêt général.
Il est très important de comprendre que notre job est de conseiller, de suggérer, d’analyser et d’éclairer. Ce n’est pas de décider. Ca, c’est la responsabilité des coprésidents et des autres mandataires du parti. Ils ont reçu un mandat pour ça. Notre boulot s’arrête ou commence le leur. Lorsqu’on est conseiller parlementaire, c’est le parlementaire qui décide. Lorsqu’on est conseiller dans un cabinet ministériel, c’est le ministre qui décide. Nous, on est là pour éclairer autant que possible les coprésidents, on met et challenge si nécessaire les options sur la table mais ce n’est pas nous choisissons à la fin.
En guise d’exemple, peux-tu nous exposer un dossier qui t’a occupé récemment?
C’est plutôt un dossier interne. On organise une assemblée générale sur le thème de la démocratie en mai. C’est un événement important qui rassemble les membres d’Ecolo. Ils vont être interrogés sur une série de sujets liés à la démocratie, à la participation citoyenne, notamment dans ce contexte du gouffre de plus en plus grand entre les citoyens et les politiques, et d’un système politique qui donne parfois l’impression de fonctionner sur sa tête. On a une série de propositions qu’on veut mettre en débat. Pour Ecolo, le débat interne est très important. Il y aura une série de débats puis de votes sur ces propositions.
Mon job est de préparer cette assemblée avec les différentes équipes pour que tout soit bien organisé sur le fond, c’est à dire qu’il y ait des discussions préalables pour savoir ce qu’on mettra en débat, comment est-ce qu’on le mettra en débat, comment faire en sorte que ce qu’on va mettre en débat soit accessible pour le plus grand nombre ? Comment est-ce que les votes auront lieu ? Etc. On a des équipes qui s’occupent de l’aspect organisationnel de l’événement alors que moi, mon job, avec d’autres collègues, est de me concentrer sur le contenu politique de l’assemblée.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans ton boulot?
Prenons par exemple le dérèglement climatique. On a toutes les informations nécessaires: nous savons ce qu’il faut faire. Ce qui est frustrant, c’est d’avoir des adversaires politiques ou parfois même des partenaires politiques qui ont des visions différentes et qui ont beaucoup moins d’entrain à faire évoluer les choses, voire dont la raison d’être est de freiner les changements. On est face à beaucoup de résistances, alors qu’on sait qu’il faut avancer, que chaque mois, chaque année perdue en matière d’action, est une année qui risque de coûter cher. Je parle du dérèglement climatique, mais ça vaut aussi pour la lutte contre la pauvreté par exemple. Il y a des situations qui sont insupportables, on a les moyens de les résoudre et on ne les résout pas. C’est frustrant, et parfois décourageant.
Qu’est-ce qui est le plus gratifiant?
Deux choses.
D’abord, c’est quand même un grand privilège et une chance de travailler pour une cause qui te tient à coeur. Même si on y met beaucoup d’énergie, beaucoup de temps, même s’il y a parfois des frustrations, fondamentalement, on est incroyablement privilégiés de pouvoir faire ça. Moi, je viens d’une famille d’ouvriers et je mesure que cette espèce d’alignement entre ton boulot et des valeurs constitue une immense chance. Il faut bien se rendre compte de ça.
Un autre aspect stimulant de ma fonction est de voir passer de nombreux dossiers de natures très différentes, ce qui fait que j’apprends beaucoup de choses sur une grande variété de sujets. Ce sont souvent des sujets complexes, conflictuels, mais d’un point de vue intellectuel, c’est d’autant plus stimulant.
Comment devient-on directeur politique?
Après leur élection par l’Assemblée générale d’Ecolo, les nouveaux coprésidents choisissent leur directeur ou directrice politique. Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet m’ont désigné, ainsi que Nicolas (directeur politique adjoint). J’ai démissionné du poste d’échevin que j’occupais à Saint-Gilles depuis deux ans, puisque dans notre parti, on ne cumule pas. Auparavant, j’avais travaillé presque 8 ans chez Etopia, le “think tank” d’Ecolo qui, notamment, organise des formations, des conférences, des séminaires. J’animais un réseau de chercheur·euses associé·es, j’organisais des séminaires, des conférences, on écrivait des documents dans une logique prospective, pour résumer en deux mots, on regardait plutôt 2050 que 2024 ou 2030. J’ai fait des études de sciences politiques.
Je n’avais pas prévu de devenir directeur politique. Celles et ceux qui veulent se lancer dans le monde politique doivent savoir qu’il est quasiment impossible de définir un plan de carrière parce que les circonstances sont fort changeantes. J’ai vécu des défaites et des victoires électorales et chacune donne lieu à des situations complètement différentes.
Avec le recul, si tu regardes les choses de manière rétrospective, tu peux te dire que tout ça est très cohérent. Mais lorsque tu les vis, tu les vis étape après étape, en fonction des des opportunités qui s’ouvrent et de ta volonté de les saisir ou pas à ce moment-là .
Quelle(s) qualité(s) faut-il pour ce job?
Je crois que la première qualité est liée à l’esprit collectif et à la loyauté. La loyauté vis-à -vis des personnes pour qui tu travailles c’est-à -dire les coprésidents, mais évidemment aussi la loyauté vis-à -vis du parti et de ses idéaux. Pour moi, c’est la qualité fondamentale sans laquelle rien n’est possible.
À côté de cela, il y a une série de qualités d’analyse, d’anticipation, d’identifier un problème et voir les solutions, les voies de sortie possibles. Une certaine capacité à dénouer des sujets compliqués, pouvoir les rendre plus simples au moment où il faut décider. À garder l’esprit clair et le sang froid dans les périodes de tensions.
Il y a besoin de convaincre des gens qui ne sont pas nécessairement d’accord avec nous, ce qui suppose une certaine ouverture d’esprit par rapport à leur situation et leur vécu propres. L’empathie est donc, à mon avis, quelque chose qui aide aussi dans cette fonction.
Face à un problème, il y a plein de contraintes. Il y a des contraintes parfois budgétaires, des contraintes parfois liées à ce qu’on veut faire parce que c’est quand même difficilement acceptable pour une grande partie de la population. Il y a aussi des contraintes liées aux personnes qu’on doit convaincre parce qu’on n’a pas une majorité à nous tout seul dans la société. Donc, on doit mélanger nos idées à celles des autres et il faut aimer ça d’une certaine manière, même si ça peut aussi faire partie de la frustration.
Il faut aimer transformer les contraintes en opportunités et aimer mêler ses idées à celles des autres. Parce que sans ça, c’est juste infernal et on aura le sentiment, non pas de faire des compromis, mais de faire des compromissions à longueur de journée. Et ça, pour la santé mentale, c’est impossible, ce n’est pas tenable.
Où est la limite entre compromis et compromission?
Il faut voir clair. Ensuite, sur un dossier ou dans une stratégie, savoir où on veut aller et, le cas échéant, où est-ce qu’on peut atterrir. Définir une ligne claire entre, d’un côté, ce qui est acceptable parce que ça va dans la bonne direction, même si cela ne va pas aussi loin et vite que ce qu’on voudrait, et de l’autre, ce qui est inacceptable parce que ça trahit des valeurs fondamentales ou force un retour en arrière.
Pourquoi la politique?
J’ai eu assez tôt un intérêt pour la chose publique. Mon intérêt pour la politique est né de mon désir d’engagement et de voir les choses évoluer. Durant mes études, je me suis pas mal mobilisé dans le monde associatif. Et, comme pour beaucoup de gens, est apparue la volonté d’essayer de faire évoluer les règles du jeu et donc de s’engager dans les institutions.
Justement, pourquoi Ecolo?
Quand on s’intéresse à la politique et qu’on est amené à voter pour la première fois, on commence à essayer de se construire son affiliation : pour qui vais-je voter? Ma famille n’était absolument pas écologiste et s’intéressait à la politique de manière assez éloignée. J’ai découvert Ecolo par des lectures et des rencontres. Je me suis toujours défini comme très progressiste et pour moi, le parti du progressisme, le parti d’avenir, c’était Ecolo. C’était une période où c’était déjà assez naturel de faire ce choix-là quand on avait 20 ans.